Entretien avec Charles MILLON – Président du Conseil régional Rhône-Alpes de 1988 à 1999 - 22 février 2002

L’entretien se déroule à la permanence de Charles Millon. Il dure 20 minutes. Il est cependant entrecoupé de nombreux coups de téléphone.

Comment l’initiative d’Université 2000 a été ressentie au sein du Conseil régional Rhône-Alpes ?

Oui, c'est une décision du gouvernement et à ce moment-là, on a accepté de rentrer dans le jeu. On s'est alors mis en concertation avec les universités, avec les municipalités qui étaient concernées, avec l'Etat et puis à ce moment, on a déterminé quelle était notre approche. On a d'ailleurs contre vérifié tous les indices qui touchaient au domaine professionnel. Ce qui nous a amené à lancer un certain nombre de projets qui vont des grandes écoles (l'exemple le plus frappant étant l'ITEC qui était l’œuvre de la région) en passant par des décisions importantes comme le financement de Normale Sup à Lyon. Et puis ensuite des éléments qui sont beaucoup plus classiques comme le financement de la Manufacture des Tabacs à Lyon ou d'autres réalisations qui ont pu être effectuées dans le domaine universitaire de Rhône Alpes.

On a été très favorable au projet. La thèse de l'exécutif de Rhône-Alpes, à l'époque, était de tout faire pour favoriser le transfert de la compétence enseignement supérieur de l'Etat aux régions.

Ce n'est pas le lancement de ce programme qui a initié la réflexion sur l'implication de la région dans le financement des politiques d'enseignement supérieur.

Cette réflexion existait déjà puisqu'on avait des politiques dans des domaines divers comme la recherche, le financement des bourses. On était déjà intervenu à plusieurs reprises mais cela a permis de donner une autre ampleur puisqu'on participait à l'organisation sur le territoire des pôles universitaires, c'est à ce moment-là qu’on a eu un travail contractuel et continuel avec la CURA, les Pôles universitaires de Lyon et de Grenoble.

Cela vous paraissait une initiative légitime de l'Etat de tenter d'impliquer les collectivités locales dans le développement universitaire ?

Très franchement, sous l'angle institutionnel et financier non puisque c'est de la compétence de l'Etat d'intervenir dans ces choses et que nous, on n’a pas eu le transfert des moyens fiscaux correspondants donc en fait c'était un transfert de charges indu. Mais nous, on a accepté de bon cœur parce que nous on souhaite, on souhaitait que la compétence enseignement supérieur soit transférée aux régions. Donc on voulait montrer notre bonne volonté, enclencher les négociations ensuite pour qu'on trouve les modes et les moyens, comme pour les lycées, pour qu'il y ait un transfert de compétence et un transfert financier. On est allé dans l'opération. Puis deuxièmement, pourquoi on a accepté ? Parce qu’un équipement universitaire, c'est un équipement structurant sous l'angle de l'aménagement du territoire et sous l'angle du développement économique et puis sous l'angle du rayonnement national et international. Nous pensons que la région doit être la collectivité moteur pour pouvoir mener ce type d'opérations et donc on a été favorable à ce que ce type d'équipement soit porté et développé. Voila en fait les raisons qui nous ont amenées à nous impliquer dans Université 2000. Et puis, ensuite dans le contrat qui était porté par Allègre, Université du 3éme millénaire, U3M.

Dans ces négociations avec l'Etat, est ce que vous parvenez de façon satisfaisante à faire passer les priorités de la région en matière d'enseignement supérieur ?

Oui, plutôt. On est arrivé à faire prendre en compte un certain nombre de dossier qui nous apparaissait essentiel parce qu'il y avait eu une concertation préalable extrêmement forte entre les universités, c'est là où on s'est appuyé sur la CURA et sur les pôles universitaires et puis avec le monde économique avec le patronat et puis enfin avec l'académie qui travaillait totalement de concert avec nous. En face de l'organisation étatique parisienne, on avait en fait un front commun entre l'académie, le monde professionnel, la direction des universités, la communauté universitaire et puis la région.

Vous étiez donc en contact avec à la fois les services déconcentrés et les services centraux?

Bien sûr.

Vous m'avez parlé de la CURA et du PUL. Les universitaires tendent aujourd'hui à se réunir. C'est important pour la région d'avoir des institutions de représentation du monde universitaire dans son ensemble ?

On a tout fait pour éviter qu'il y ait une concurrence entre St Etienne et Lyon, entre Lyon et Grenoble... C'est pour cela qu'on a été tout à fait favorable pour qu'il y ait un rapprochement entre les universités. De façon, à ce qu'on puisse faire front commun qu'elle puisse nous donner préalablement un projet qui soit déjà coordonné et concerté.

Vous m'avez dit que la région revendiquait une compétence en matière d'enseignement supérieur. Vous souhaitez que la décentralisation aille plus loin dans ce domaine ?

Je suis favorable à l'autonomie des universités. Je suis favorable à deux choses qui sont parallèles. A ce que d'une part les universités soient autonomes totalement. Je suis favorable à ce que les universités puissent en toute autonomie, en toute liberté, négocier avec la région et que ce soit la région qui soit le partenaire privilégié.

Le fait que la région ne puisse pas peser sur le contenu des enseignements dispensés, est ce que ce n'est pas un obstacle à son implication dans le financement ?

Je suis favorable à une autonomie complète des universités. Donc je suis favorable à ce que ce soit les universités qui définissent leurs programmes pédagogiques. Il faut qu'on arrête avec ces systèmes centralisés où ce sont des fonctionnaires dans des bureaux parisiens qui décident de ce qui doit être fait ici où là.

Pourquoi la région vous semble être le niveau institutionnel pertinent pour le traitement des problèmes universitaires ?

Parce que c'est soit la région soit l'Etat et l'Etat est trop loin. La région est la dimension d'aménagement et de programme qui me parait être la plus pertinente. Le département c'est trop petit, l'Etat, c'est trop loin et je pense que dans un cadre européen et même national, la région est aujourd'hui l'espace qui me parait le plus adapté pour traiter ce genre de dossier.

Quel regard vous portez sur l'implication des autres collectivités, le département ou l'agglomération, dans le financement de ces politiques d'enseignement supérieur ?

Je pense que c'est parce que les ressources n'ont pas été suffisamment transférées à la région qu'il a fallu faire appel aux villes et aux départements mais cela ne me parait pas normal. Je trouve que ce partage des charges est tout à fait exceptionnel et qu'il me parait évident qu'à terme, les villes et les départements ne s'en occupent pas. Il ne faut pas qu'ils aient cette charge et il faudrait qu'il soient associés à la concertation, à la négociation ou même à la préparation de la décision mais cela me paraît assez anormal qu'on soit obligé de faire ces financements croisés qui d'abord pèsent sur les finances des collectivités et puis fausse les décisions.

C'est une difficulté d'agir en concertation avec tant de partenaires ?

Non cela n'est pas une difficulté mais d'abord cela alourdit. On ne sait plus qui est responsable de quoi et puis cela ne me parait pas être la meilleure solution.

Les constructions universitaires associent de nombreux partenaires à travers des conventions. Quel regard vous portez sur ces dispositifs d'action publique ? Cela vous paraît souple, moderne ?

Le contrat me paraît bien adapté.

Même si cela s'éloigne parfois de la répartition des compétences...

Vous savez, je suis pour l'autonomie des collectivités. Je suis pour la liberté des contrats.

Cela vous parait un cadre rigide la définition dans des textes des compétences dans l'action de ces collectivités ?

C'est utile que l'on dise qui fait quoi...(Coupure téléphonique)

Au moment du lancement du plan université 2000, la communauté urbaine autour de Michel Noir et Jean-Michel Dubernard, lançait le projet de la réhabilitation de la Manufacture des Tabacs. Vous aviez que regard sur le lancement de ce projet ?

J'étais tout à fait favorable.

La région n'a pas participé au financement de la première tranche pour ensuite s'impliquer dans les tranches suivantes. Quelles sont les raisons de cette absence d'implication ?

C'était convenu. On s'est partagé les tranches : la première tranche était à la charge de la communauté urbaine de Lyon. La deuxième était à la charge de la région. C'est à dire qu'au lieu de faire des financements croisés, on s'est partagé les tranches. Mais c'était convenu dès le départ.

Tout à l'heure, vous m'avez parlé de l'importance de l'enseignement supérieur dans le rayonnement d'une région et en matière de développement économique. En quoi, le développement universitaire participe à ces développements ?

Une collectivité, elle ne doit pas être faite simplement de murs et de béton. Le rôle d'une collectivité, c'est aussi de favoriser un rayonnement intellectuel, universitaire, technique, professionnel si on veut qu'elle ait une spécificité, des qualités propres. Le rôle de la région n'est pas d'être un organisme de distribution de subvention mais son rôle c'est bien de construire une collectivité à partir d'une conception d'ensemble de l'aménagement du territoire, une conception d'ensemble de répartition de la matière grise, une conception d'ensemble d'organisation de l'économie donc de créer les conditions favorables pour que dans une situation donnée, puissent se développer la recherche, la réflexion, la formation. C'est ce qui caractérise le mieux ce qu'on appelle le tertiaire supérieur. C'est ce qui caractérise le mieux les régions qui arrivent à être entraînantes en terme et à dominer l'organisation d'un pays ou d'une région. C'est important pour la création d'emploi. Quand vous avez de très bonnes universités, vous avez de très bonnes entreprises. Quand vous avez de très mauvaises universités, vous avez de très mauvaises entreprises.

La concurrence entre les territoires pour attirer les entreprises vous la situez à quel niveau ?

Européen.

Dans les années 1960, c'est au niveau de l'Etat qu'on parlait d'aménagement du territoire. Vous vous parlez de la région...

Oui parce que l'Etat a échoué. Les régions sont tout à fait à même de porter l'aménagement du territoire. Que l'Etat ait un rôle de compensation pour les régions les plus faibles mais pour pouvoir suivre un aménagement du territoire au jour le jour, il faut une dimension programmatique. L'Etat est beaucoup trop vaste en matière d'aménagement du territoire, les régions sont la dimension pertinente. Pour décider des routes nationales, des routes départementales, des lieux d'urbanisation ou de la localisation des universités ou des lieux d'implantation de centre de recherche dans une région, le conseil régional est tout à fait compétent.

Pour vous finalement, l'Etat devrait jouer quel rôle ?

Fonctions régaliennes et harmonisation générale mais certainement pas intervention. Ceci est complètement lié à ma conception de l'organisation de l'enseignement. Je suis favorable à ce que les universités soient autonomes, à ce qu'elles aient un financement autonome, qu'elles puissent s'appuyer sur des fondations, que le recrutement de leurs professeurs soit autonome. Je suis favorable à l'autonomie des universités comme elles peuvent exister en Espagne, en Allemagne, en Angleterre, aux USA etc. Il n'y a que la France qui ait ce régime là complètement centralisé.

Qu'il existe des normes qui soient fixés par l'Etat je le comprends très bien. Mais la voir dans le système dans lequel elle est enfermée, non, c'est insupportable.