Entretien avec Claude VINCENT - Directeur de la division « logistique et bâtiments » de la Communauté urbaine de Lyon - 20 février 2002

L’entretien se déroule dans les bureaux de la division « logistique et bâtiments » du Grand Lyon. Il dure une heure.

Claude Vincent est directeur de la division « logistique et bâtiments » du Grand Lyon depuis le début des années 1990. Avant cette date, il exerçait au sein de la direction des espaces verts de la Communauté urbaine. Pour lui, le projet de la Manufacture des Tabacs est lié à l'arrivée et à la personnalité de Michel Noir qui a impulsé le projet. Homme politique d'envergure régionale voire nationale, Michel Noir développe une vision prospective de l'action de la communauté urbaine. Il va ainsi au-delà des compétences de la Communauté urbaine de Lyon pour intervenir dans le domaine des politiques universitaires pour ramener l'université en centre-ville. Il souligne l'importance du contexte : Michel Noir a une forte légitimité. Il a obtenu une victoire massive aux élections de 1989 et sait "tenir sa majorité".

La décision de prendre la maîtrise d'ouvrage du projet est liée à une recherche d'efficacité dans la gestion du dossier. Laissée à l'Etat, la maîtrise d'ouvrage revenait à accepter les retards importants dans la réalisation de l'opération. Claude Vincent nous décrit des services de l'Etat englués dans une réglementation ubuesque qui, par ailleurs, sont minés par les luttes intestines entre les personnes et les services eux mêmes. (« Les services de l'Etat sont ainsi envahis de luttes intestines entre des coteries. La rivalité entre les services fait capoter les opérations. »). Il y a toujours une personne pour dire que ce n'est pas la compétence de l'autre. Claude VINCENT nous décrit des luttes de pouvoir au sein des ministères et comme le pouvoir dans les services, c'est de dire non, on a des projets qui n'avancent pas. Au sein des services de l’Etat, pour Claude VINCENT, « le pouvoir ce n'est pas de dire oui. »

La rivalité entre les services n'est pas la seule en cause : les mutations de personnel peuvent aussi faire échouer les opérations. La mutation d'un fonctionnaire jouant un rôle moteur ou un changement ministériel peuvent ainsi faire échouer une opération bien partie. A l'inverse des opérations qui ne semblent pas devoir se réaliser, réussisse parfois à aller jusqu'au bout. L'incapacité des services de l'Etat à être efficace dans la conduite d'une opération n'est pas liée à une insuffisance des moyens. Mr Vincent souligne la qualité « au moins en grade » des personnels des services centraux. Il insiste encore sur l'importance des réglementations et les guerres entre les personnes et les services.

La situation de la Communauté urbaine au début des années 1990 est différente : la proximité d'un pouvoir politique fort permet l'efficacité dans la conduite des opérations. Le fait d'avoir la maîtrise d'ouvrage d'une opération comme la Manufacture des Tabacs est importante pour la DLB. Elle permet ainsi aux jeunes fonctionnaires de se former au coté des plus expérimentés auxquels est confiée la responsabilité de l'opération. Surtout, l'opération Manufacture des Tabacs n'est pas une opération de bâtiment mais une opération d'urbanisme. L'implantation de la Manufacture des Tabacs a ainsi complètement revitalisé le quartier, a bouleversé ses équilibres. Ainsi, "on apprend beaucoup d'une telle opération".

Dans ses relations avec les services techniques des partenaires du projet, Mr Vincent insiste sur la difficulté de travailler avec les services de l'Etat (IRTC- rectorat). Travailler avec l'Etat, c'est ainsi se conformer aux normes définies dans les services centraux, normes qui répondent « à des cas d'école ». Il fustigent ainsi les gens qui à Paris passent la moitié de leur vie à définir des règlements pendant que d'autres passent leur temps à trouver des moyens pour les contourner. Les services du rectorat ne « font rien pour faciliter les choses à la DLB ». Ils n'étaient "pas très contents qu'on ait la maîtrise d'ouvrage. Pour eux, ce n'était pas notre boulot. Ce qui est vrai d'ailleurs. » Les relations avec les services techniques du département étaient beaucoup plus épisodiques. Simple co-financeur de l'opération, le département ne participe qu'aux réunions de suivi mis en place pour associer les partenaires à la réalisation du projet et à l'avancée des travaux. Le caractère forfaitaire de la participation du département ne permet pas une réelle implication dans la maîtrise d'ouvrage. C’est ce qui explique que le personnel de la DLB ne s’implique que modéremment dans le suivi des opérations quand elle ne dispose pas de la maîtrise d’ouvrage des bâtiments. De plus, les interventions d’un co-financeur dans la conduite d’une maîtrise d’ouvrage ne serait pas « quelque chose de sain ».

Pour la tranche 1 bis, la région finance quasiment complètement l'opération. Ne disposant pas de service technique, elle se doit de déléguer la maîtrise d'ouvrage. La COURLY ayant assuré la maîtrise d'ouvrage de la tranche 1, elle accepte sur proposition de la région de poursuivre la conduite des opérations. Le changement de président à la tête de l'université Lyon III (Mr Roland remplace Mr Vialle) va cependant bouleverser la donne. Les relations se tendent rapidement avec la COURLY : Roland réclame des délais plus courts, des budgets plus importants. Les propos de Mr Vincent sont extrêmement virulents à l'encontre des présidents d'université : ils ne sont ainsi « pas les meilleurs des profs », décrits comme « avides de pouvoir et prêts à toutes les compromissions pour diriger l'Université ». Le directeur de la DLB souligne son peu de respect pour leur personnalité et en particulier pour le président Roland. La COURLY, face aux exigences du président de Lyon III, décide de ne plus assurer la maîtrise d'ouvrage. Le rectorat la reprend alors : les services du rectorat retrouvent ainsi son rôle traditionnel. Pourtant, les délais ne sont pas raccourcis par le changement du maître d'ouvrage.

Pour Claude Vincent, les collectivités locales ne cherchent pas à obtenir la maîtrise d'ouvrage des opérations. C'est beaucoup plus l'Etat « qui ne fait pas son boulot ». Dans la procédure du CPER, l'Etat veut décider de tout mais il n'assume pas ses responsabilités. Dans le cadre du CPER, en tous les cas pour le volet universitaire, les maîtrises d'ouvrage sont à peu près réparties à égalité entre les collectivités locales qui se les répartissent entre elles.