PREMIERE PARTIE. PéRENNITé DE LA PETITE EXPLOITATION RURALE

CHAPITRE 1. ESSAI D'APPROCHE STATISTIQUE

1. A l'échelle du Pays basque : les enquêtes agricoles décennales

Faute de recensement des exploitations avant 1942, la série des enquêtes décennales constitue à cette échelle la seule source pour l'histoire des exploitations au XIXe siècle. Maintes fois critiquées49, ces enquêtes présentent malheureusement de nombreuses sources d'erreurs et ne permettent que des approximations grossières.

Elles souffrent d'abord d'un inégal état de conservation. Les tableaux par commune et par canton n'ont été préservés que pour 1892. De l'enquête de 1852 ne subsistent que les résultats imprimés, publiés à l'échelle de l'arrondissement. On peut également tirer des tableaux récapitulatifs de l'enquête de 1882 conservés aux Archives nationales des données par arrondissement. La publication des résultats de l'enquête de 1862 à l'échelle du département ne permet pas en revanche d'isoler les deux arrondissements de Bayonne et de Mauléon50. Il faut souligner aussi le manque de continuité et de cohérence de ces enquêtes. D'une date à l'autre, les dénominations changent, les questionnaires se font plus complexes : en 1852, une seule rubrique permet de dénombrer les exploitations, en 1882 et 1892 elles sont au nombre de trois.

Le dénombrement des travailleurs agricoles, présent dès 1852, paraît le plus susceptible de fournir une base de comparaison. Mais les exploitants à statut mixte, à la fois propriétaires et journaliers, métayers ou fermiers ont souvent été comptés deux voire trois fois. Les dénombrements des exploitations par mode de faire-valoir et par taille, introduits à partir de 1882, ne sont guère plus satisfaisants : la notion d'exploitation reste vague au XIXe siècle et se dégage mal de celle de propriété. Ainsi, la confrontation des différentes rubriques de l'enquête de 1892 montre que le "nombre d'exploitations" correspond souvent au nombre de propriétés. Nombre de grandes "exploitations" de plus de 100 hectares sont en fait des communaux51. L'enquête à l'inverse a souvent négligé le micro-exploitant locataire de sa maison et de quelques parcelles.

Aussi les résultats rassemblés sous forme de tableau suscitent-ils la perplexité : jamais le nombre d'exploitations ne coïncide avec le nombre d'exploitants. Quelques tendances apparaissent pourtant assez nettement pour mériter d'être relevées.

Nombre d'exploitations au Pays basque (arrondissements de Bayonne et de Mauléon)
  1852 1882 1892
TRAVAILLEURS AGRICOLES :  
Propriétaires-exploitants seulement (1) 9244 10 349 13 326
Fermiers (2) 517 1378 2482
Métayers (3) 4555 4560 4098
Exploitants à statuts mixtes (4) 2524 2296 2647
Journaliers 11 971 2686 2026
Domestiques   9757 8704
EXPLOITATIONS :    
Faire-valoir direct 9650 11 908
Fermes et locations verbales 2173 2733
Métairies 5247 4392
Nombre d'exploitants (1+2+3+4) 16 840 18 583 22 463
Nombre d'exploitants (1+2+3) 14 316 16 287 19 816
Nombre d'exploitations par mode de faire-valoir 17 070 19 033
Nombre d'exploitations par taille 19 089 19 422

Quel que soit le mode de calcul retenu, le nombre d'exploitations progresse en effet sensiblement dans cette deuxième moitié du siècle : on peut l'évaluer grossièrement à 17 000 en 1852, 18 000 en 1882, 19 000 en 1892. Cette augmentation est essentiellement celle des propriétaires-exploitants ; la progression du fermage, presque inexistant en 1852, compense par ailleurs le lent recul du métayage. La seule catégorie de la population agricole à connaître un brutal déclin est celle des non-exploitants : près de cinq journaliers sur six disparaissent en quarante ans53.

Cet accès élargi à la propriété et à l'exploitation est un premier indice de la pérennité de la petite exploitation mais, faute de données plus précises sur la taille des exploitations, on ne peut en apporter ici une preuve suffisante. En 1892, un exploitant ne cultive certes que cinq hectares de prés et de labours en moyenne, sur lesquels il élève trois vaches et une douzaine de brebis. A la différence de son père ou de son grand-père qui disposait en 1852 d'un journalier, il n'emploie quasiment plus que la main-d'oeuvre familiale : on compte en 1892 un journalier pour dix exploitations, un domestique pour deux ou trois. Mais cette exploitation moyenne n'est que le résultat d'un calcul, et peut-être n'existe-t-elle nulle part.

Notes
49.

Voir notamment : Gilbert GARRIER, "Les enquêtes agricoles décennales du XIXe siècle : essai d'analyse critique", Pour une histoire de la statistique, Paris, INSEE - Economica, tome 1, 1987, pp. 269-279. Chantal de CRISENOY, Propriétaires, fermiers et métayers au XIXe siècle. Les enquêtes décennales, mode d'emploi. L'année 1882, Paris, INRA, août 1982, 70 f. Jean-Luc MAYAUD, La petite exploitation rurale triomphante, France XIXe siècle, ouvrage cité, pp. 37-39.

50.

Statistique de la France, deuxième série, tome VIII. Statistique agricole. Deuxième partie, Paris, Imprimerie Impériale, 1860. Statistique de la France. Agriculture. Résultats généraux de l'enquête décennale de 1862. Deuxième série, tome XVI. Strasbourg, Berger-Levrault, 1870.

Arch. nat. F11 / 2720 : statistique agricole décennale de 1882. Basses-Pyrénées.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 6M/161 et 162 : enquête agricole décennale de 1892. Arrondissements de Bayonne et de Mauléon.

51.

Ainsi à Ascain sont recensées 234 "exploitations", dont l'une dépasse 100 hectares.

52.

Source : enquêtes décennales. Les résultats de l'enquête de 1882 sont des résultats corrigés : les données concernant le canton de Tardets, absentes, ont été calculées à l'aide d'un coefficient tiré de l'enquête de 1892.

53.

Le Pays basque ne fait pas exception à cet égard, même si le déclin des journaliers est ici particulièrement brutal. Voir notamment Ronald HUBSCHER et Jean-Claude FARCY (dir), La moisson des autres. Les salariés agricoles aux XIXe et XXe siècle, Rencontres à Royaumont, Editions Creaphis, 1996, pp. 46-51