2. A l'échelle de la commune : identifier et dénombrer les exploitations

C'est à l'échelle de la commune que l'on peut tenter d'y voir plus clair, par le recoupement de deux sources fondamentales : les matrices cadastrales et les listes nominatives de recensement.

A partir de la matrice cadastrale de 1832, mise à jour jusqu'en 1914, a pu être établi un fichier de tous les propriétaires de chacune des deux communes, quelle que soit la superficie de la propriété. Aucun seuil n'a été fixé. Derrière une grande propriété peuvent en effet se cacher plusieurs petites exploitations. A l'inverse, à une seule exploitation peuvent correspondre plusieurs petites cotes foncières, ou encore une micro-propriété de 10 ares comprenant une maison et un jardin peut se révéler, par le jeu des locations, le noyau d'une petite exploitation.

Parallèlement, des listes nominatives de recensement a été tiré un fichier des ménages avec leurs professions et leur domicile54. C'est le croisement de ces deux fichiers qui a servi de base au dénombrement des exploitations : il permet d'identifier chaque exploitation, ses terres et ses hommes, et de suivre sommairement sa trajectoire pendant plus d'un demi-siècle.

Ce premier dénombrement a enfin été affiné et complété par le recours à toutes les sources susceptibles de fournir des indices sur l'exploitation. C'est le cas des archives notariales et des registres de l'enregistrement notamment, mais aussi des multiples dossiers conservés dans les archives communales, qui peuvent révéler la présence inattendue de bétail, de matériel agricole ou de cultures.

On dispose par exemple, dans les registres des délibérations municipales d'Ascain, d'un rôle des taxes sur les communaux établi pour l'année 1853 qui peut être considéré comme une liste des exploitations au milieu du siècle. Ce document fait apparaître que certaines maisons qui n'avaient pas été retenues comme exploitations d'après le recensement de 1851 font usage des communaux. Pour la plupart habitées par des ménages de journaliers ou d'artisans, elles paient une très faible taxe : ce sont en fait des micro-exploitations ne tirant de la terre qu'une part minime de leur subsistance. De même les demandes de secours consécutives à des sinistres, grêles, incendies ou inondations, également conservées à Ascain, révèlent-elles que tel tisserand locataire de sa maison ou tel marin propriétaire d'un simple jardin a perdu sur pied sa récolte de maïs ou son regain.

Si, dans le cadre d'une conception large et ouverte de l'exploitation, sont prises en compte ces micro-exploitations parfois éphémères dont on ne peut ignorer l'importance dans le monde rural du XIXe siècle, le dénombrement des exploitations donne des résultats qui contredisent en tous points ceux des enquêtes décennales : dans les deux communes, le nombre des exploitants connaît un lent mais régulier déclin, et le phénomène affecte tout particulièrement les propriétaires-exploitants.

Nombre d'exploitants à Ascain et à Hélette
  Propriétaires-exploitants Métayers et fermiers Total exploitants
1851 1881 1911 1851 1881 1911 1851 1881 1911
Ascain 93 81 64 75 77 82 168 158 146
Hélette 68 64 55 84 79 76 152 143 131

La comparaison de ce dénombrement avec celui des enquêteurs du XIXe siècle, possible pour la commune de Hélette55, permet d'éclairer les origines de cette discordance.

Nombre d'exploitations à Hélette selon les sources*
  1851-1852 1891-1892
Enquête Recensement Enquête Recensement
Propriétaires-exploitants (1) 75 68 54 62
Fermiers et métayers (2) 58 84 94 78
Propriétaires-journaliers (3)     3  
Locataires 97      
Meuniers 8      
Nombre d'exploitants (1+2+3) 133 152 151 140
Nb d'exploitations par mode de faire-valoir 159
Nombre d'exploitations par taille 158 159
* Enquête : enquêtes agricoles décennales de 1852 et 1892. Recensement : dénombrement d'après le cadastre et les listes nominatives de 1851 et 1891.

En 1851, les résultats du recensement des exploitants dépassent très largement ceux de l'enquête de 1852. L'enquêteur en effet a hésité : que faire des 97 locataires qui n'entrent ni dans la catégorie des métayers ni dans celle des fermiers ? Aucune rubrique du questionnaire ne leur est consacrée. Tous ne sont certes pas exploitants : nombre d'ouvriers et de journaliers, occupants précaires d'une chambre ou d'un appentis dans une maison du bourg, ne disposent pas même d'un petit jardin. Mais beaucoup aussi cultivent le petit labour attaché à leur maison. Il en est de même des meuniers qui louent, avec leur moulin, quelques parcelles de labours et de prés. Ces micro-exploitants et pluri-actifs sont ignorés par l'enquête : c'est la principale source de discordance entre les deux dénombrements.

Il est plus difficile d'expliquer comment en 1892, à l'inverse, l'enquêteur dénombre un si grand nombre de métayers et de fermiers. Sans doute a-t-il pris en compte plus largement l'ensemble des locataires, peut-être aussi a-t-il inclus dans cette catégorie les exploitants à statut mixte, à la fois propriétaires et métayers ou fermiers, dont la rubrique n'est pas renseignée. On serait tenté d'accorder plus de foi au décompte des exploitations, remarquablement stable d'une enquête à l'autre. Mais l'enquêteur a manifestement confondu ici propriété et exploitation : les trois "fermes" de plus de cent hectares recensées en 1852 sont des propriétés et non des exploitations.

Il est clair que l'arithmétique n'est pas seule en cause ici. Aux limites floues du monde divers de l'exploitation rurale, exploitants à statuts mixtes, pluri-actifs, micro-exploitants s'inscrivent mal dans les cadres à la fois trop rigides et trop complexes des enquêtes agricoles. Outre la confusion tenace avec la propriété, la notion-même d'exploitation se révèle extensive, ce qui invite à affiner l'approche en tenant compte de la taille des exploitations.

Notes
54.

Les archives communales d'Ascain ont conservé toutes les listes nominatives de 1836 à 1946. Mais elles sont fragmentaires jusqu'en 1851. Par ailleurs, de 1856 à 1896, elles n'indiquent pas le domicile : il a donc fallu les recouper, notamment pour les métayers très mobiles, avec la matrice générale des contributions foncière, personnelle et mobilière également conservée dans la commune.

La série des listes nominatives trouvée aux archives communales de Hélette est moins complète : à part un état nominatif des habitants de 1817, elle ne commence qu'en 1851, avec une lacune en 1866 et 1872, et s'interrompt en 1931. Mais toutes les listes comportent une mention précise du domicile.

55.

Arch. com. Hélette : les calculs préparatoires à l'enquête de 1852, notés en désordre au dos d'un numéro du Moniteur des communes daté du jeudi 9 septembre 1852, ont été miraculeusement conservés.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 6M / 162 : enquête agricole décennale de 1892. Arrondissement de Mauléon. Commune de Hélette.