3. A l'échelle de la commune : évaluer la taille des exploitations

Par la superficie cultivée

Compte tenu des sources disponibles, et dans le cadre restreint d'une région aux structures agraires assez uniformes, la superficie est sans doute l'indicateur le plus sûr de la taille des exploitations. L'évaluation de leur force de travail est plus délicate, et l'on ignore à peu près tout du volume de leur production : seules les grandes exploitations tiennent à cette époque des livres de compte56 .

Si la superficie de la propriété est connue, celle de l'exploitation reste toutefois hypothétique. Les caractéristiques de la "maison pyrénéenne" en font certes une unité relativement stable et facile à cerner. Du fait des pratiques successorales, les terres échoient en effet à un successeur unique et ne sont donc pas redistribuées à chaque génération. Jamais par ailleurs le domaine, aggloméré autour de la maison, n'est dispersé entre plusieurs communes : tout au plus l'exploitation dispose-t-elle de quelques pâtures sur les hauteurs limitrophes57. Mais un certain nombre d'incertitudes ne seront sans doute jamais levées.

La première concerne la location de parcelles qui peuvent, momentanément ou durablement, être ajoutées ou retranchées à la propriété. Ainsi, l'enquête de 1942 montre qu'à cette date la superficie de l'exploitation correspond rarement à celle de la propriété : elle lui est généralement supérieure lorsque la propriété est trop petite (moins de deux hectares) ; elle lui est au contraire inférieure lorsque la propriété dépasse cinq hectares. Or les baux sont oraux, et ces transactions n'ont laissé que peu de traces dans les archives notariales. On est donc réduit, dans le cas des petites propriétés comprenant une seule exploitation, à identifier la taille de l'exploitation à celle de la propriété, ce qui conduit probablement à surestimer le nombre des plus petites exploitations d'une part, et des plus grandes d'autre part.

La seconde incertitude concerne les grandes propriétés divisées en plusieurs exploitations. Les différentes exploitations peuvent généralement être délimitées à partir des actes notariés et du cadastre, à l'occasion d'un partage ou d'une vente qui fait apparaître le bloc à peu près indissociable de la maison et de ses terres. Mais à défaut, il faut souvent recourir à des approximations à partir d'autres indices : la taille des ménages aux recensements, le montant des fermages ou la valeur du capital parfois détaillés dans les registres de mutations par décès, voire en dernier recours la dénomination au cadastre des parcelles, qui portent souvent le nom de la maison. Pour Ascain, le montant de la taxe sur les communaux a également pu être utilisé à cet effet : les ressources qu'une exploitation tire des communaux pour ses fumures et l'alimentation de son bétail sont en effet proportionnelles à sa superficie cultivée58.

Au prix de ces quelques approximations, la matrice cadastrale permet de calculer, parcelle par parcelle, la superficie cultivée par chaque exploitation en labours, prés, vergers, vignes et jardins. Les vastes espaces de bois et pâtures (70% de la superficie agricole des deux communes), indispensables à l'économie de l'exploitation à laquelle ils fournissent notamment litière, pacages et bois de chauffage, ont dû être exclus de ce calcul. Ils connaissent en effet des formes d'appropriation variables dans le temps et dans l'espace : presque entièrement privatisés à Hélette depuis le début du siècle, ils restent en grande partie communaux à Ascain jusqu'à la fin du Second Empire.

Superficie des exploitations
  Ascain Hélette
1851 1881 1914 Indice* 1851 1881 1914 Indice*
< 0,5 ha 43 33 16 37 11 10 5 45
0,5-1 ha 18 15 13 72 14 8 8 57
1-2 ha 35 38 35 100 15 16 13 87
2-5 ha 55 50 53 96 51 44 33 65
5-10 ha 16 21 28 175 49 53 60 122
≥ 10 ha 1 1 1 100 12 12 12 100
Ensemble 168 158 146 87 152 143 131 86
* Indice 100 : 1851.

De ces trois coupes opérées à une génération de distance se dégagent plusieurs observations. Le recul déjà observé du nombre d'exploitations d'abord est celui des petites unités inférieures à cinq hectares, et plus nettement encore celui des micro-exploitations de moins de un hectare. Les exploitations de plus de dix hectares, au demeurant peu nombreuses, restent en nombre remarquablement stable. Une catégorie d'exploitations progresse en revanche dans les deux communes et sur l'ensemble de la période : celle des exploitations de 5 à 10 hectares.

Notes
56.

Les géographes ont la chance de pouvoir utiliser conjointement ces trois critères pour définir la taille des exploitations. Voir notamment : Jacqueline BONNAMOUR, "La géographie rurale pendant le dernier quart de siècle", Ruralia, n°1, 1997, pp. 81-110.

57.

En attestent notamment les actes successoraux et l'enquête de 1942 : à cette date, 1% de la superficie des exploitations d'Ascain et 2% de celles de Hélette se trouve hors du territoire de la commune.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 1204-W/10 et 11 : enquête agricole de 1942. Communes de Hélette et d'Ascain.

58.

C'est aussi ce que constate aussi Louis Assier-Andrieu en Cerdagne : Louis ASSIER-ANDRIEU, Coutumes et rapports sociaux. Etude anthropologique des communautés paysannes du Capcir, ouvrage cité, pp. 57-89.