4. A l'échelle de la commune : tracer la trajectoire des exploitations

C'est en termes de trajectoires que nous saisirons mieux les reclassements que laisse deviner l'évolution de la répartition par taille des exploitations, en empruntant cette fois à des économistes leur méthode de classement des exploitations62.

Elle permet d'abord de mettre en évidence la pérennité des exploitations, toutes tailles confondues : 90% d'entre elles survivent à chaque génération tandis que quelques créations viennent en partie compenser les disparitions, notamment à Ascain où la vente des communaux s'accompagne de défrichements. Si la stabilité l'emporte, une minorité significative parvient par ailleurs à accroître sa superficie63.

Classement des exploitations selon leur trajectoire
Ascain
  Variations (exploitations pérennes) Exploitations Exploitations  
  diminution augmentation stabilité total disparues nouvelles  
1851-1881 10 20 124 154 14 4  
% 6 12 74 92 8
1881-1914 10 42 89 141 17 5  
% 6 27 56 89 11

Hélette
  Variations (exploitations pérennes) Exploitations Exploitations  
  diminution augmentation stabilité total disparues nouvelles  
1851-1881 7 24 111 142 10 1  
% 5 16 73 93 7
1881-1914 5 25 99 129 14 2  
% 3 17 69 90 10

Rapportées à la superficie initiale des exploitations, les variations de superficie permettent de mieux saisir les dynamiques à l'oeuvre et d'affiner les approches précédentes. Au-dessous de deux hectares, la mortalité des exploitations est certes élevée, mais si 1/3 d'entre elles disparaît en deux générations, la même proportion glisse dans la catégorie supérieure par agrandissement. A partir de 1881, ce même glissement s'observe pour les exploitations de 2 à 5 hectares. Au-delà de cinq hectares au contraire, la stabilité l'emporte. Elle est même quasiment totale pour les treize plus grandes exploitations, qui ne dépassent pas un seuil de 10 à 12 hectares.

Trajectoires des exploitations selon la taille initiale (en pourcentages) : 1851-1914
  Exploitations pérennes Exploitations
diminution
≥ 20%
augmentation
≥ 20%
stabilité total disparues
Ascain Hélette Ascain Hélette Ascain Hélette Ascain Hélette Ascain Hélette
< 0,5 5 0 19 18 30 45 53 64 47 36
0,5-1 0 0 44 36 50 36 94 71 6 29
1-2 ha 14 7 29 27 43 33 86 67 14 33
2-5 ha 9 6 36 35 47 43 93 84 7 16
5-10 ha 19 4 12 18 69 73 100 96 0 4
≥ 10 ha 0 0 0 8 100 92 100 100 0 0
Ensemble (%) 9 4 29 26 45 55 82 85 18 15

Nous avons donc affaire à des glissements complexes, qui s'organisent autour de quatre tendances majeures :

1. Pérennité de la petite exploitation, qui paraît doublement attestée. La petite exploitation est d'une part quasi-exclusive : dans leur immense majorité, les exploitations des deux communes cultivent moins de dix hectares avec une main-d'oeuvre de taille familiale. Elle parvient d'autre part largement à se perpétuer voire à se développer : plus de 80% des exploitations survivent au terme de deux générations, plus d'1/4 augmente sa superficie.

2. Sévère recul des micro-exploitations de moins de deux hectares, qui s'accélère à partir des années 1880. La disparition d'une partie d'entre elles explique le léger déclin du nombre global d'exploitations, qui échappe aux catégories de la statistique officielle.

3. Stabilité en nombre et en superficie des exploitations moyennes, comme s'il existait aux alentours de dix hectares un seuil indépassable : le seuil de l'agriculture familiale.

4. Puissant mouvement d'ascension au sein des petites exploitations, qui porte les petites unités vers un nouveau seuil de viabilité aux alentours de cinq hectares. C'est cette petite exploitation de 2 à 10 hectares qui s'affirme nettement et durablement durant la seconde moitié du siècle : elle reste dominante au moins jusqu'aux années 194066.

Reste, au-delà des tendances statistiques, à saisir dans leur diversité l'infinité des trajectoires possibles et à rendre compte des logiques à l'oeuvre. Nous aurons recours ici au récit biographique, dans une démarche dont la finalité ne sera ni purement typologique, ni seulement illustrative. Si les cinq trajectoires maintenant proposées donnent un peu de chair aux dynamiques mises à jour, elles ambitionnent d'abord de faire quelques pas en avant dans leur interprétation. Comment s'articulent, dans le contexte du second XIXe siècle, le destin de l'exploitation et le destin familial, que l'on pressent comme une dimension majeure ? Il faut, pour commencer à répondre à cette question, descendre à l'échelon de l'individu et de l'exploitation.

Notes
62.

Bernard DELORD et Philippe LACOMBE, "Dynamique des structures agricoles : exploitation ou famille?" Economie rurale, n° 199, septembre-octobre 1990, pp. 19-25.

63.

Si ce dernier phénomène semble se renforcer à Ascain pendant la deuxième période, il faut y voir avant tout un effet de source : les défrichements n'apparaissent au cadastre qu'au moment de sa rénovation en 1914.

64.

Est considérée comme variation significative une diminution ou une augmentation supérieure ou égale à 20% de la superficie cultivée, seul indicateur retenu.

65.

Voir les tableaux des effectifs par période en annexe (tableaux 3 et 4).

66.

En atteste le premier recensement des exploitations effectué en 1942, dont les résultats sont publiés en annexe (tableau 1). On ne peut retenir des résultats de cette enquête que des tendances. Ils sont en effet difficilement comparables à ceux de notre dénombrement. Nombre d'incohérences montrent qu'à Hélette l'enquête a été bâclée. Les micro-exploitations n'y ont pas été recensées. Celle d'Ascain prend en compte les exploitations du quartier de Serres, tardivement rattaché à la commune. Or, faute du nom des maisons, il est difficile d'identifier ces exploitations. Il faut enfin tenir compte du contexte très particulier de l'année 1942, qui prive nombre d'exploitations d'une partie de leur main-d'oeuvre. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 1204-W/10 et 11 : enquête agricole de 1942. Communes de Hélette et d'Ascain.