Un grand domaine paysan

Veuve de marin, Marie Hiriart est déjà "maîtresse ancienne et foncière" de la maison voisine d'Hirigoyenea dont sa fille aînée est l'héritière et la "maîtresse jeune". C'est au nom de son fils cadet Saubat Sougarret, charpentier de marine et absent en mer, qu'elle a acheté pour 5 000 livres Haranederrea, propriété jusqu'alors affermée de Marc Antoine Duvignault, écuyer et seigneur du Chiron près de La Rochelle69.

On connaît moins bien les circonstances dans lesquelles le fils de Saubat Sougarret et son épouse Domindigna Yanots ont pu s'approprier par la suite, de 1795 à 1820, les quatre petites exploitations contiguës de Sarrola, Gainecoetchea, Halchua, et enfin Manchotenborda. Mais en 1832, à l'établissement du premier cadastre, leur propriété a atteint avec ses 18 hectares le premier rang des propriétés paysannes de la commune, dans laquelle seuls trois domaines appartenant à des propriétaires rentiers dépassent 20 hectares. Elle compte alors quatorze hectares de cultures, dont neuf de labours, répartis en cinq exploitations d'inégale importance : Haranederrea, en faire-valoir direct, et ses quatre métairies.

Il semble que la propriété ait alors atteint un seuil. La génération suivante affiche le statut social de la maison en faisant construire en 1844, à côté de l'ancienne habitation de bois et torchis, une maison de maître en pierre de style navarrais précédée d'un imposant perron et séparée des bâtiments d'exploitation. Mais la politique d'acquisitions foncières connaît une pause de quarante ans. Elle ne reprend que dans les années 1860 : à la faveur de la vente des communaux, Haranederrea achète entre 1865 et 1892 plus de vingt hectares de bois et de pâtures. La propriété atteint alors une quarantaine d'hectares, et garde cette superficie jusqu'en 194070.

Cette seconde phase d'expansion ne se traduit pas toutefois par un agrandissement de l'exploitation : elle comprenait déjà d'importantes dépendances dans les communaux, qui ne faisaient pas partie de la propriété, mais dont font toujours mention les actes notariés. En 1853, Haranederrea fait partie des trois exploitations payant la taxe la plus élevée sur les pâtures communales, où elle possède des granges et des bergeries et entretient un important troupeau d'ovins. Elle est aussi en 1854 au premier rang des exploitations d'Ascain avec 1 740 arbres plantés sur les communaux, que complète une pépinière dans la propriété71. Il faut donc considérer l'achat des communaux comme une simple transformation du statut juridique de ces terres déjà exploitées : en un siècle, l'exploitation n'a en fait gagné que 55 ares de labour achetés à des voisins en 185972.

Notes
69.

Archives privées : contrat de ferme du 27 décembre 1748 (Grangent notaire). Vente du 4 avril 1754 (Duhalde notaire). Requête du 11 octobre 1757 (Detcherry notaire).

L'acte de prise de possession est publié in extenso en annexe (1).

70.

Arch. com. Ascain : matrices cadastrales de 1832 et 1914.

Alfred Lassus, "Les anciennes maisons d'Ascain", Ascain, Ekaïna, Saint-Jean-de-Luz, 1991, pp. 79-133.

71.

Arch. com. Ascain : registres des délibérations municipales. Taxe sur les communaux : rôle des taxes à payer par les habitants, chefs de maisons, pour jouissance des communaux, établi selon le profit de chacun (exercice 1853). Contribution communale des arbres : état des taxes à payer par les habitants, chefs de maisons, pour tenir lieu du prix de location des terrains communaux sur lesquels ils ont planté des arbres (exercice 1854).

72.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15608 : vente du 7 juin 1859.