A chaque génération, un héritier et successeur unique

Si le domaine ne s'agrandit guère au-delà de 1820, les générations suivantes s'emploient à en maintenir l'intégrité grâce à un mode de transmission aussi rigoureux qu'inégalitaire, excluant tout partage.

1834 : Marie Sougarret

Pierre Sougarret et Dominique Yanots se sont mariés vers 1790. Contrairement aux usages73, ils n'ont pas signé de contrat de mariage. Mais cette génération a su trouver des arrangements avec les lois révolutionnaires, et Pierre Sougarret a hérité de tous les biens de son père Saubat.

Ils ont quatre enfants survivants. Marie, l'aînée, est destinée à être héritière : à la veille de sa mort en 1815, son père lui attribue par testament le 1/4 par préciput hors part de sa succession74. Elle est alors âgée de 18 ans. C'est sa mère qui prend la direction de l'exploitation pendant près de vingt ans, avant de se décider à marier sa fille âgée de 37 ans. Le cadet, Jean, est également destiné à se marier. Quant aux deux benjamins, ils doivent tenter leur chance ailleurs. En 1823, Jean-François s'engage dans la marine75. En 1825, Jean dit "Chumé" est un des premiers à tenter l'aventure de l'émigration : il emprunte à sa mère 1 000 francs en avance d'héritage et se rend à Buenos Aires avec quelques jeunes gens, tous issus des familles les plus aisées d'Ascain. Mais c'est un échec : en 1829, sa mère doit à nouveau avancer 700 francs pour payer son retour. Condamné au célibat, il revient dans sa maison natale où il exerce jusqu'à la fin de ses jours les professions de charpentier et de laboureur76.

La succession se joue en 1833-34, lorsque la mère se résout enfin à marier ses deux aînés, âgés de plus de 35 ans. En 1833, le cadet épouse la fille d'un gros meunier, héritière d'une autre "bonne maison" d'Ascain, et reçoit une dot de 2 000 francs en avancement sur la succession paternelle77. En 1834 enfin, le mariage de l'aînée avec Baptiste Heuty, laboureur de la commune voisine de Saint-Pée-sur-Nivelle, est le moment crucial de la succession. Par un montage juridique complexe (huit actes au total, soit 236 francs de frais), Marie devient l'unique héritière78. Le contrat y insiste : "Au moyen de ce qui précède, tous les immeubles appartenant à feu Pierre Sougarret père avant son mariage et tous ceux acquis par lui depuis le mariage et par sa veuve après sa mort, tous situés dans cette commune, sont devenus la propriété de la future épouse". Le régime matrimonial de communauté réduite aux acquêts en fait la véritable propriétaire, alors qu'elle est civilement mineure. Le futur époux serait d'ailleurs dépossédé au cas où il survivrait à sa femme sans postérité : le contrat assure ainsi le maintien du bien dans le lignage.

Sa mère lui fait donation entre vifs de tous ses biens et de l'usufruit que lui a légué son mari. En contrepartie, elle cohabitera avec les futurs époux qui devront assurer ses vieux jours. Marie devra surtout racheter à ses frères leurs droits sur les successions paternelle et maternelle, soit un total de 12 000 francs. En réalité, elle n'en versera qu'une partie (9 000 francs). Jean est entièrement indemnisé dès 1834, un an après son mariage. Jean-Chumé ne reçoit rien de plus que l'avance de 1 000 francs obtenue lors de son départ pour Buenos Aires, puisque le contrat prévoit qu'il entrera en possession de ses droits "lorsqu'il se mariera, et non avant" : or il finit ses jours célibataire dans la maison de sa soeur, en 1875, après avoir fait donation de ses droits à sa nièce. Jean-François fait preuve de moins d'esprit de sacrifice. En effet, le contrat stipule en sa faveur d'une part que ses droits lui seront versés "lorsqu'il prendra parti de mariage, et sans mariage dans trois ans de ce jour", d'autre part que "les bénéfices que produiront les bestiaux que Jean François enfant puîné tiendra dans la maison de sa soeur durant cette vie commune lui appartiendront en seul". Il quitte la marine au moment de la succession, après s'être sans doute constitué un pécule, et reçoit sa part en 1839 lorsqu'il épouse une héritière de la commune voisine de Sare, où il s'installe comme laboureur79.

Au total, l'établissement de trois enfants sur quatre a rendu cette succession très coûteuse. La dot de 2 000 francs apportée par l'époux est loin de compenser les 9 000 francs versés aux cadets. C'est peut-être une des explications de l'absence de politique foncière à cette génération. C'est peut-être aussi ce qui a déterminé les générations suivantes à modifier leur stratégie en établissant un seul enfant.

Notes
73.

Voir notamment : Maïté LAFOURCADE, Mariages en Labourd sous l'Ancien Régime. Les contrats de mariage du Pays de Labourd sous le règne de Louis XVI. Etude juridique et sociologique, ouvrage cité.

74.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15570 : testament du 8 février 1815.

75.

Archives de la Marine, bureau de Rochefort, 15-P-3 / 62 : matricules des gens de mer (ouvriers, 1826-1848).

76.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15581 et 15585 : quittances du 7 septembre 1825 et du 24 décembre 1829. III-E 15624 : acte de notoriété de Jean dit Chumé Sougarret.

Arch. com. Ascain : listes nominatives de recensement et listes électorales de 1848 et 1871.

77.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15589 : acte de mariage du 25 novembre 1833.

78.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15590 : cession de droits, quittance et acte de mariage du 4 juin 1834.

79.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15590 : quittance du 19 novembre 1834. III-E 15934 : quittance du 28 novembre 1839. III-E 15611 : testament du 6 décembre 1862. Arch. com. Sare : registre des mariages.