1854-1867 : émigration temporaire

C'est un nouvel échec pour Gracianne Héguy, qui cohabite avec le jeune ménage. Il ne sera qu'en partie compensé en 1851 par le rachat d'un pré cédé à son frère Pierre lors du précédent partage, qu'elle tenait jusqu'alors en location. La solidarité familiale aidant, le règlement des 682 francs de la vente est renvoyé à des jours meilleurs, mais il faut payer des intérêts. Or, l'année précédente déjà, Jean Duhalde et Marie Sulpice ont dû contracter auprès d'une veuve journalière une dette de 300 francs, dont les intérêts sont compensés par son logement à Ospitalia : le ménage est manifestement à court d'argent124.

En 1854, Jean Duhalde va tenter sa chance en Amérique avec l'un de ses frères. En 1856, la nouvelle de la mort de son frère Manécaté le trouve à Buenos Aires où il se rend chez le consul pour signer une procuration à sa femme. Restée à l'exploitation avec ses deux filles et Gracianne Héguy, Marie Sulpice prend en nourrice deux enfants, dont Pauline Cossale enfant de l'hospice comme elle. La naissance d'une troisième petite fille indique que Jean Duhalde a peut-être fait un bref séjour à Hélette en 1857, avant de repartir pour Montevideo125.

En 1858 les deux femmes sont à nouveau seules à la tête d'une exploitation dont les ressources sont insuffisantes pour faire appel à l'aide de domestiques. Cette année-là, elles doivent emprunter de l'argent à deux reprises : 360 francs en février pour rembourser une ancienne créance, puis en mars 330 francs "employés à leur subsistance". Chaque fois, elles trouvent un créancier bienveillant et sans doute intéressé auprès de leur ambitieux voisin Bernard Eyherabide. Propriétaire du domaine voisin de Chouhiteguia126, celui-ci s'est déjà approprié une partie d'Ospitalia en 1848. En 1858, il en devient créancier hypothécaire et partiellement locataire : pour acquitter les intérêts de leur dette, les deux femmes lui baillent à ferme cinq parcelles de leur exploitation127.

Lorsque Gracianne Héguy disparaît en 1860, Marie Sulpice est aux abois. "La maison tombe en ruines" et "le domaine est en très mauvais état de culture"128. Seule avec trois jeunes enfants, sans nouvelles de son mari depuis trois ans, endettée, elle "ne peut continuer l'exploitation de son domaine". Elle obtient du tribunal l'autorisation de le louer pour neuf ans à Bernard Eyherabide, auquel elle emprunte encore 450 francs pour régler les droits de mutation129.

Ce sera la dernière dette contractée par Marie Sulpice, qui ne dispose plus désormais que de son logement, son jardin, et du droit de semer chaque année un décalitre de lin. Il est peu probable que le loyer de 180 francs versé par Eyherabide lui ait suffi pour faire vivre un ménage de cinq personnes. Peut-être a-t-elle fini par recevoir de son mari quelques subsides. Sans doute s'est-elle livrée aussi avec ses filles et sa pupille à quelques travaux de couture : jamais Marie n'est recensée comme couturière, mais elle héberge en 1876 une couturière et une apprentie, et sa dernière née Virginie est aussi déclarée couturière en 1877, lors du décès de son père130.

Notes
124.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8881 : obligation et bail du 19 octobre 1850. III-E 8882 : bail à ferme du 5 mai 1851. III-E 8737 : vente du 16 juin 1851.

125.

Arch. com. Hélette : listes nominatives de recensement.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8884 : obligation et quittance du 24 octobre 1857.

126.

Voir biographie de Chouhiteguia : chapitre 7.

127.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8884 : obligation et quittance du 27 février 1858. Obligation et bail à ferme du 13 mars 1858.

128.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 5 octobre 1860.

129.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8885 : obligation et bail à ferme du 10 avril 1861.

130.

Arch. com. Hélette : listes nominatives de recensement (1876-1881).

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutations par décès du 12 novembre 1877.