Une descendance dispersée142

A Milorbaïta, la mésentente familiale n'a fait qu'accélérer un départ qui s'inscrit dans un contexte de décadence de la pêche luzienne et de reclassement des marins et des artisans ruraux143.

Dès la première génération, les fils et les gendres de Marie Duviau et Jean Larregain, nés autour de 1800, ont quitté la marine après leur mariage. Mais presque tous sont restés cultivateurs ou artisans à Ascain et ont maintenu un mode de vie rural associant agriculture et activités artisanales.

Il n'en est pas de même de la génération suivante. Des seize petits enfants nés de leurs six enfants sédentaires, près de la moitié a quitté la commune, pour Bordeaux ou pour l'Amérique. Aucun d'entre eux n'est devenu métayer, un seul reste cultivateur. Le seul fils de Milorbaïta à avoir accédé à la propriété en 1817 voit tous ses enfants quitter sa trop petite exploitation de deux hectares, qui est mise en location et reste en indivision pendant plus d'un siècle. Cette génération s'inscrit pourtant encore majoritairement dans une tradition d'artisanat rural et de métiers de la mer.

La rupture date du dernier quart du siècle avec un reclassement dans les métiers du tertiaire, quand le mariage avec un douanier apparaît comme une voie privilégiée d'ascension sociale. La mobilité sociale se conjugue alors avec une forte mobilité géographique : les 3/4 des arrière-petits-enfants de Marie Duviau et Jean Larregain nés à Ascain quittent le village144.

La trajectoire de Milorbaïta est celle d'une micro-exploitation pluriactive dont les stratégies, à l'opposé du modèle des "grandes maisons", ne privilégient pas la transmission d'un patrimoine foncier. Plus que le devenir de l'exploitation, on cherche à assurer ses vieux jours et l'établissement de ses enfants. Aussi la disparition de ces micro-exploitations est-elle liée au déclin des formes traditionnelles de pluriactivité, mais aussi à des stratégies de reclassement par la voie du secteur tertiaire.

Notes
142.

Voir tableau en annexe (10).

143.

Si les baleiniers du XVIe siècle et l'épopée des corsaires ont attiré les curiosités érudites, il manque malheureusement une étude systématique de l'histoire de la pêche à Saint-Jean-de-Luz, notamment au XIXe siècle.

Voir Théodore LEFEBVRE, Les modes de vie dans les Pyrénées Atlantiques orientales, ouvrage cité, pp. 236-278 et René CUZACQ, "La pêche à Saint-Jean-de-Luz", Revue de Géographie de Pyrénées et du Sud-Ouest, 1933, pp. 287-296.

144.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15636 : pouvoir du 24 février 1887. III-E 15629 : contrat de mariage du 16 février 1880.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 1R / 415 à 865 : registres matricules de recrutement.

Arch. com. Ascain : registre des mariages. Noms des individus qui sont allés aux colonies étrangères (sd, vers 1845). Emigrants pour Montevideo et Buenos Ayres et demandes de passeports (1856-1890).

Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutations par décès des 2 novembre 1871, 28 août 1873, 9 novembre 1893, 7 novembre 1899, 20 avril 1900, 19 janvier 1904, 20 décembre 1907, 13 juillet 1914 et 3 avril 1915.