Une maison pyrénéenne : des terres et des hommes

La "maison" d'Etcheederrea est un petit domaine d'une dizaine d'hectares, exploité par ses propriétaires. La maison proprement dite est située à proximité de la place du village, en bordure de la route alors fort fréquentée qui relie à Bayonne Pampelune et la vallée du Baztan, en Navarre espagnole. Comme la plupart des maisons basques, c'est à la fois un bâtiment d'habitation et un bâtiment d'exploitation : son rez-de-chaussée est occupé par l'écurie, une remise et la loge à fumier, tandis que la famille habite les cinq vastes salles du premier étage. Son mobilier, selon l'enquêteur, "décèle une certaine aisance" : "Le linge est surtout remarquable par sa finesse et sa blancheur; il est tout de tissu de lin filé par les femmes de la maison. Ce luxe de linge est d'ailleurs général chez les Basques; les plus pauvres ne prennent leurs repas que sur une table couverte d'une nappe..."

Le coeur du domaine se trouve dans le prolongement de la maison : il comprend le jardin potager, avec le four, et un hectare en pré et labours, auxquels s'ajoutent sur les hauteurs voisines trois "bordes" et leurs enclos partiellement cultivés175. Au cadastre de 1840, la propriété compte 2,6 hectares de cultures, dont les 2/3 sont consacrés aux labours. Lors de l'enquête, la superficie cultivée est toujours de 2,5 hectares, mais le verger semble avoir été abandonné ainsi qu'un petit labour excentré, remplacé par une parcelle en location.

Le reste de la propriété est constitué de pâtures et de bois de chênes et châtaigniers : près de huit hectares selon le cadastre, trois seulement d'après l'enquêteur qui est ici pris en défaut. Négligence ou parti pris idéologique, il attribue la propriété de ces terres à la commune, dont les "subventions" sont ainsi artificiellement gonflées dans le budget. En fait, Ainhoa comme Hélette a déjà vendu une grande partie de ses communaux, mais sans doute l'enquêteur a-t-il préféré fermer les yeux sur cette victoire de l'individualisme176.

En 1837, par son contrat de mariage, Jean Belescabiet est devenu l'héritier du domaine : la maison, son mobilier et son cheptel, ses terres. Son père lui a fait donation du quart préciputaire, et les 1 500 francs de numéraire apportés en dot par sa femme lui ont permis de s'acquitter des droits de son frère Pierre, charpentier à Ainhoa, et de sa soeur Dominiquette, épouse d'un préposé des douanes177. Mais il reste débiteur de ses deux autres soeurs. L'une est restée célibataire dans la maison familiale et a renoncé à sa part178. L'aînée enfin, mariée à un sandalier d'Ainhoa, a été évincée de la succession au bénéfice de son frère et, d'après l'enquêteur, a refusé le dédommagement proposé. La maison est donc dans l'indivision depuis 1837179.

En 1856, le groupe domestique est composé de sept personnes : Jean Belescabiet, 51 ans, son épouse Marie Etcheverry, 56 ans, ses trois enfants de 8, 12 et 16 ans, sa soeur célibataire, et sa mère âgée de 95 ans180. Il vient de perdre son huitième membre, un oncle célibataire de Jean Belescabiet. Avec un seul couple et trois générations vivant sous le même toit, c'est le modèle de la famille-souche chère à Le Play, indissociable de la "maison" pyrénéenne et de son mode de transmission.

Notes
175.

Pour l'enquêteur, il n'existe qu'une borde située sur les communaux, qui sert de bergerie. Mais le cadastre fait état de trois bordes, et le contrat de mariage de Pierre Belescabiet en 1884 de plusieurs dépendances dont deux bergeries.

176.

Voir tableau 2 en annexe.

177.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15932 : contrat de mariage du 26 avril 1837.

178.

Elle lègue ses droits à son neveu par testament une semaine avant sa mort.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 303 Q-28 : mutation par décès du 26 décembre 1883.

179.

D'après la matrice cadastrale, l'indivision se poursuit jusqu'en 1933.

180.

Les registres de l'Etat civil d'Ainhoa donnent des indications concordantes.