Autoconsommation et marchés

La part de l'autoconsommation peut être mesurée en poids et en francs grâce aux évaluations de la production et de la consommation fournies par le budget. Rapprochées d'autres sources, ces évaluations se révèlent fiables. Si la consommation par tête du ménage dépasse nettement celle d'un ménage de journaliers, elle se situe en effet dans la fourchette des pensions alimentaires attribuées aux veufs à Hélette. De même les rendements et les prix concordent-ils avec les données des enquêtes et statistiques agricoles193.

La production brute de l'exploitation, mesurée en francs, se partage en trois parties à peu près égales : les consommations intermédiaires réinvesties dans l'exploitation, les produits commercialisés, et la consommation du ménage. On peut donc évaluer à 1/3 la part de l'autoconsommation. Elle concerne les petites productions vivrières des champs, du jardin et de la basse-cour, et la production laitière : haricots, châtaignes, légumes, lin, bois, porcs, lait et fromage sont entièrement destinés à la consommation du ménage. Mais c'est aussi le cas de la production céréalière : hormis quelques surplus, ni le froment ni le maïs ne sont produits pour le marché194.

La production familiale assure ainsi près de 90% des besoins alimentaires du ménage195. Le pain "fait avec un mélange d'une partie de farine de froment et de deux parties de farine de maïs", la soupe de légumes cuits au lard, le lait et le fromage constituent la base des repas familiaux. Le cidre, que le vin d'Espagne ne vient remplacer que les jours de fête, est de fabrication domestique : on le "prépare en versant chaque jour une quantité d'eau égale à celle de la boisson consommée dans un tonneau rempli de pommes concassées". Le piment "qui sert de condiment à la plupart des mets" est aussi un produit du jardin.

Relativement protégée des fluctuations du marché par l'autoconsommation et l'utilisation à peu près exclusive de la main d'oeuvre familiale, l'exploitation est pourtant loin de vivre en autarcie. Son économie associe en effet étroitement aux productions vivrières une orientation plus spéculative vers l'élevage : sa production animale est presque entièrement commercialisée. Près de la moitié de sa production végétale d'autre part est destinée à l'élevage, qui consomme non seulement les produits des landes et des sous-bois, mais les sous-produits des céréales (tiges, feuilles, etc...), les navets, les courges, une partie des fèves et du maïs. L'exploitation est donc largement engagée sur le marché du bétail, où elle achète ses boeufs de travail et ses porcs, et vend ses brebis et ses agneaux, ses veaux, une partie de ses volailles, ses boeufs engraissés.

Plus généralement, l'exploitation est insérée dans un système complexe d'échanges qui échappe en partie au circuit monétaire. Sur le marché du travail, elle achète en argent ou en nature les services de journaliers et d'artisans, et vend ou échange le travail de son attelage : outre les transports de marchandises, elle s'acquitte en journées d'attelage des services du maréchal-ferrant et du charron, de la location d'un pacage, des intérêts d'une petite dette, et de l'impôt communal (17 journées au total). Elle loue des terres : un labour et plusieurs pâtures pour ses brebis. L'argent aussi circule, au sein de la communauté villageoise et de la parenté : Jean Belescabiet doit à sa soeur 700 francs sur lesquels il ne paie pas d'intérêts, mais aussi 500 francs à un créancier de son père qui lui a transmis sa dette avec la propriété, et 200 francs à un voisin auquel il paie ses intérêts en travail. Enfin, l'exploitation reçoit de la commune des "subventions" en terres et en services, sans doute surestimées par l'enquêteur, et donne aux pauvres une partie de sa production de céréales et de légumes196.

S'il importe de souligner la complexité de cette circulation de produits, de travail, de terres et d'argent, l'essentiel des échanges monétaires de l'exploitation se résume pourtant à un schéma assez simple : elle vend les produits de son élevage, et achète des produits de consommation pour le ménage197. La structure des échanges reflète ainsi à son tour la confusion ménage-entreprise caractéristique de l'exploitation familiale.

Notes
193.

Voir tableaux 6 à 9 en annexe.

194.

Voir tableau 10 en annexe.

195.

Voir tableau 6 en annexe.

196.

Voir tableau 11 en annexe.

197.

Voir tableau 12 en annexe.