Une exploitation déficitaire... mais viable

Au total, l'exploitation est déficitaire et endettée, et son avenir paraît bien compromis aux yeux de l'enquêteur qui fustige la propension à consommer qu'il prête aux Basques. Au "luxe de linge" domestique déjà souligné s'ajoute le goût de la bonne chère : "La famille ne s'impose sous ce rapport aucune privation réelle... Ils aiment la bonne chère en général, et emploient la plus grande partie de leurs ressources à accroître leur bien être sous ce rapport, sans songer à réaliser des économies". On achète du poisson, du chocolat pour la grand-mère et les enfants, des cotonnades pour les vêtements féminins qui commencent à se modifier : les dépenses d'alimentation et d'habillement par tête sont trois fois supérieures à celle d'un ménage de journaliers.

Or la viabilité de l'exploitation tient sans doute à cette capacité à assurer au ménage un bon niveau de subsistance, et les moyens de tenir son rang. Etcheederrea est en effet une des "bonnes maisons" du village. Le statut de la maison a permis à Jean Belescabiet d'épouser la fille du maire de la commune voisine de Souraïde. Le maintien de ce statut a un prix, dont témoigne notamment l'importance des dons et des dépenses de sociabilité, nettement supérieures au montant du déficit. A l'église, on loue une chaise et on fait brûler quantité de cierges, on donne de l'argent aux quêtes. On donne aussi aux pauvres du village une aumône en nature, quitte à épuiser les réserves du ménage : cette année-là, la maison donne 250 kilos de maïs, mais doit en acheter 140. De même Jean Belescabiet répugne-t-il à augmenter ses recettes en développant ses activités de transport. Peut-être partage-t-il le jugement de l'enquêteur, selon lequel "la nécessité où se trouve ce chef de famille de recourir à des industries de cette nature entreprises au compte d'étrangers est un signe évident de décadence de cette maison" : ce sont en effet les journaliers du village qui se livrent habituellement à des activités mercenaires. Peut-être aussi Jean Belescabiet estime-t-il suffisants les revenus du ménage. Il juge utile en revanche de se montrer deux fois par mois au marché d'Elizondo où il n'a généralement rien à vendre ni à acheter : le statut de la maison, son insertion dans des réseaux de sociabilité, priment sur le calcul financier.

La survie de cette exploitation déficitaire atteste que la logique de la reproduction familiale l'emporte sur la logique de l'entreprise : à Jean Belescabiet succèdent son fils Pierre puis son petit-fils François. Mais reproduction ne signifie pas immobilisme : les générations suivantes ont su s'adapter. En 1914, le cadastre révèle une certaine déprise agricole : les parcelles excentrées ont été abandonnées, et l'activité agricole se concentre sur les terres entourant la maison. Mais en 1890, Pierre Belescabiet, maire d'Ainhoa, est voiturier, et François se révèle un "excellent conducteur" durant son service militaire : tout semble indiquer que l'exploitation est devenue résolument pluriactive198.

Notes
198.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15974 : contrat de mariage du 26 décembre 1884. 303 Q-41 : mutation par décès du 22 mars 1900. 1 R-768 : registres matricules, classe 1905.

Arch. com. Ainhoa : matrices cadastrales et registres d'Etat civil.