Une maison en déclin200

Peut-être est-ce la situation financière délicate de la maison qui a incité le tuteur à des précautions aussi inhabituelles. Errecartia est pourtant un domaine important, trop vaste pour être exploité par une seule famille. Ses 50 hectares sont divisés en deux exploitations de taille équivalente : Errecartia, en faire-valoir direct, et Etcheparia, louée à des fermiers. Mais avec les terres se transmettent depuis plusieurs générations de lourdes dettes qu'aucune dot n'est parvenue à compenser201.

De longue date, les maîtres d'Errecartia appartiennent à l'oligarchie villageoise. Jean Acheritogaray est jurat de la paroisse en 1787 et figure parmi les douze notables de la commune en 1790. Son fils puis son petit-fils siègent à leur tour au conseil municipal202. Lors de l'établissement du cadastre en 1834, ils sont parmi les dix plus gros propriétaires de la commune. En 1855 et 1868, les inventaires témoignent d'une aisance certaine et affichée : le salon est décoré de six tableaux et d'un miroir à cadre doré, le maître de maison possède une montre en or, et dans la chambre de son épouse on trouve entre autres objets de piété un bénitier en porcelaine dorée, une statue de la Vierge également dorée, sous cloche de verre...203

Le statut de la maison autorise les héritiers à contracter des alliances matrimoniales flatteuses, notamment avec la famille homonyme des Durrels, notaires de père en fils à Hélette de 1748 à 1868. Mais si le mariage de l'héritier avec Marie-Louise Durrels, en 1828, conforte la position sociale de la famille, il est loin de résoudre ses difficultés financières. Dernière née d'une famille de quatre enfants, Marie-Louise n'apporte en effet qu'une dot relativement modeste de 9 210 francs, qui permet tout juste de s'acquitter de dettes anciennes : 6 800 francs empruntés à un voisin et auprès d'un notaire de Saint-Jean-Pied-de-Port, et 1 400 francs de droits successoraux remontant à deux générations204. Il reste à dédommager les cinq cadets, dont quatre se marient, soit une dette de 12 000 francs.

Aussi le ménage doit-il s'endetter à son tour et amputer la propriété d'une métairie de six hectares205. A la succession suivante en 1853, la situation s'est encore aggravée : si les cadets ont été presque entièrement indemnisés, c'est au prix d'un emprunt hypothécaire de 12 000 francs, auquel s'ajoutent diverses dettes et les 5 000 francs à verser aux soeurs de l'héritière206. L'endettement, d'un montant total de 25 280 francs, atteint presque alors la valeur de la propriété, dont le sort dépend désormais d'une dot exceptionnellement élevée. Ces considérations ne sont évidemment pas étrangères au choix du conjoint : Pierre Ondicola, originaire de la commune voisine de Bidarray, apporte 30 000 francs "de son pécule particulier" qui permettent à sa jeune veuve de se défaire de toutes ses dettes hypothécaires et de placer 5 200 francs en créances207.

Le décès prématuré de Marie Durrels en 1868 laisse donc au tuteur une situation assainie mais encore délicate : la maison vit manifestement à crédit, et a accumulé plus de 5 000 francs de dettes auprès de vingt-cinq créanciers208. Marie Durrels a emprunté de l'argent à sa tante, à des voisins et amis. Elle n'a pas payé ses domestiques, qui ne touchent souvent leur pécule qu'au moment de leur départ : après plusieurs années de service, Jean Etchegoinberry peut alors quitter la maison avec près de 1 000 francs qui lui permettent de se marier et de prendre une métairie209. Elle n'a pas réglé non plus ses fournisseurs, notamment un marchand de bétail de Sauveterre, les deux forgerons et les deux épicières de Hélette.

Mais la capacité à s'endetter est un signe de richesse plus que de pauvreté, et n'indique pas à elle seule le déclin de la maison. L'érosion de son capital foncier et de son capital social en est un indice plus probant. En 1848, la maison a perdu à la fois une de ses métairies et sa place au conseil municipal. Au sein de la société villageoise, elle ne dispose plus par ailleurs que d'un réseau familial appauvri par le départ ou le célibat des cadets. Marie Durrels n'a plus au village que deux soeurs : l'une, célibataire, est restée à Errecartia avec sa mère, l'autre a épousé un forgeron en 1863. Ses oncles et tantes ont tous quitté la commune. Si les douanes et l'Eglise ont constitué pour cette génération une sortie honorable, le statut de domestique de sa troisième soeur, cuisinière à Bordeaux, est un indice du déclassement de la maison. Son cousin notaire ne fait plus partie de la parenté qui, dans le contexte de la famille-souche, se définit par l'appartenance à la maison : il ne siège pas au conseil de famille de 1868, où l'on fait venir en revanche de communes éloignées les grands-oncles issus de la maison. Dans l'incapacité de payer les dots qui lui auraient permis de nouer de solides alliances matrimoniales, la maison a ainsi vu s'affaiblir sa position au sein de la société villageoise.

Notes
200.

Voir arbre généalogique en annexe (13).

201.

Voir en annexe : tableau de l'évolution de l'endettement (14).

202.

Arch. com. Hélette : registres des délibérations municipales.

203.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8883 et 8887 : inventaires des 30 mai 1855 et 15 avril 1868.

204.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8919 : contrat de mariage du 29 décembre 1828. 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 5 août 1833.

205.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8935 : contrat de mariage du 12 avril 1841. III-E 8942 : vente du 20 mai 1848. III-E 8881 : quittance du 9 juillet 1848.

206.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18054 : contrat de mariage du 28 novembre 1853.

207.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8887 : inventaire du 15 avril 1868.

208.

Voir tableau 15 en annexe : composition de la dette en 1868.

209.

Arch. com. Hélette : registre des mariages et listes nominatives de recensement.