Une exploitation déficitaire

Au total, la vente des produits animaux et végétaux ne compense pas tout à fait les charges et dépenses liées à l'exploitation agricole et les frais d'alimentation et de logement de la maisonnée. Des coûts de travail exceptionnellement élevés grèvent en effet lourdement le budget de l'exploitation. Quasiment privée de main d'oeuvre familiale, elle emploie deux domestiques masculins, une servante, un "petit domestique" qui ne reçoit pour tout salaire que quelques vêtements, ainsi qu'un vieux berger. La vente des bovins, principale recette de l'exploitation, suffit à peine à payer les gages des domestiques. Hors du cadre familial, le faire-valoir direct s'avère donc très coûteux : le propriétaire tire des revenus bien supérieurs de la ferme d'Etcheparia, louée 450 puis 435 francs par an217.

Pourtant, ce déficit conjoncturel ne représente que 10% d'un déficit global de plus de 4 500 francs. La famille en effet vit sur un grand pied. Elle doit à la fois payer les intérêts de ses dettes et assurer des dépenses de prestige, notamment au moment des décès. Il est vrai qu'en une courte période se cumulent les frais liés au décès de la mère, puis de la grand-mère de la pupille. Mais les dépenses consenties sont à la hauteur du statut social de la maison. Les funérailles de Marie Durrels lui coûtent plus en pierre tumulaire, messes, cierges, aumônes et frais de réception qu'une année de gages d'un domestique. Les habits de deuil que porte la jeune fille pour l'enterrement de sa grand-mère équivalent au bénéfice de trois vaches.

C'est pour l'entretien et l'éducation de la pupille que sont engagées les dépenses les plus lourdes. Le conseil de famille de 1868 prend la décision de confier son "éducation intellectuelle et morale" à une amie de la famille, "riche et respectable dame" de Saint-Jean-de-Luz218. Pour prix de pension, on cède à cette dernière une créance de 2 000 francs. Le tuteur fait en outre de fréquents versements à la jeune fille pour ses vêtements, ses voyages à Bayonne, ou à Lourdes où elle se rend avec une compagne. Au total, près de 4 000 francs auront été dépensés en huit ans pour la fabrication d'une héritière.

Ici encore, la logique sociale prime sur la logique financière : logique qui aboutit non à la faillite mais au mariage de l'héritière avec l'instituteur du village219 et à la mise en location d'Errecartia. Il faudra trois générations pour que se desserrent tout à fait les liens avec la maison familiale.

A la première génération, Marie-Louise Ondicola réside encore à Hélette avec son époux instituteur. L'exploitation est confiée à des métayers instables : quatre familles au moins s'y succèdent en vingt ans. Le propriétaire exerce une étroite surveillance dont témoigne le conflit qui l'oppose à ses métayers en 1883, pour un peu de paille et de bois de chauffage220. Propriétaire actif et soucieux de progrès agricole, il veille à la bonne tenue de sa métairie : il la présente au concours agricole de 1889, et obtient une récompense221. Les liens économiques et affectifs restent forts avec la maison natale de Marie-Louise Ondicola qui, devenue veuve, s'y retire en 1911 avec sa vieille tante célibataire.

Mais à la génération suivante s'opère une double rupture, à la fois géographique et économique. Le fils héritier, instituteur comme son père, s'installe à Bayonne. Il renonce par ailleurs au métayage, et afferme l'exploitation à une famille qui s'y fixe pour au moins trente ans. Ce n'est que dans les années 1960, après près d'un siècle de métayage puis de fermage, que la famille se dessaisit finalement de son patrimoine222.

Notes
217.

On peut estimer que la ferme rapporte 400 francs par an. Du prix du loyer, il faut en effet déduire de minimes dépenses d'entretien (5 francs pour réparer le four), 7 francs pour la signature du bail, et une partie des impôts et de l'assurance contre l'incendie.

218.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U-12/26 : conseil de famille du 4 juin 1868.

219.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18044 : contrat de mariage du 7 avril 1877.

220.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U-12/34 : affaire du 31 mars 1883.

221.

Arch. nat. AD-XIXi-1/Basses-Pyrénées : rapport du préfet au Conseil général (session de 1889).

222.

Arch. com. Hélette : matrices cadastrales et listes nominatives de recensement.