Or ce propriétaire, instituteur dans une commune voisine, s'occupe activement de sa métairie. Il s'est attaché à enrichir son patrimoine foncier par des investissements, mobiliers et surtout immobiliers.
Il a d'abord agrandi son domaine de plusieurs hectares de pâtures dont une partie a été défrichée et amendée à la chaux. La superficie labourée, de 4,5 hectares en début d'exploitation, est passée à plus de six hectares et les engrais chimiques y ont fait leur apparition à côté du fumier de ferme. L'augmentation conjointe de la superficie et des rendements a permis à l'exploitation de doubler sa production de céréales. Les recettes de la vente du froment ont presque triplé, tandis que les 54 quintaux de maïs, entièrement autoconsommés, couvrent désormais les besoins des hommes et des animaux.
Il a par ailleurs imprimé à son exploitation une nette orientation vers l'élevage bovin, qui s'est développé et spécialisé. En début d'exploitation, la métairie n'élevait en effet que quatre vaches polyvalentes, dont elle vendait les veaux. En 1905, les vaches ont été remplacées par quatre boeufs pour le travail. Pour la reproduction, l'exploitation s'est dotée de cinq vaches laitières et d'un taureau. Une partie des veaux est engraissée, et la vente des boeufs constitue désormais la principale source de recettes228. Les cultures fourragères ont été développées et diversifiées : outre les six hectares de prés naturels, un hectare est consacré au trèfle, consommé au vert, et trois hectares aux navets destinés aux vaches à lait et aux boeufs d'engrais. C'est aussi pour son troupeau bovin en expansion que le propriétaire a fait construire une nouvelle étable, puis un hangar équipé d'une fosse à purin.
Cette orientation vers l'élevage bovin n'est pourtant pas exclusive. L'élevage s'est au contraire diversifié. L'exploitation, qui possédait déjà une jument poulinière, engraisse aussi un mulet, et un petit troupeau de 24 brebis a été créé. Le propriétaire a aussi fait planter une vigne et des pommiers à cidre, et ensemencer 15 ares en pommes de terres et 12 ares en lin. C'est avec fierté qu'il souligne que l'exploitation "récolte sa provision" de maïs, de haricots, et de pommes de terres, "fait sa provision" de fromage alors qu'elle devait en acheter, et qu'elle fabrique son cidre et une partie de son linge.
Un idéal affiché d'autosuffisance coexiste ainsi paradoxalement avec une orientation affirmée vers les marchés du bétail. Le propriétaire a certes valorisé son patrimoine et doublé ses recettes monétaires, mais au prix d'investissements qu'il ne prend pas la peine d'évaluer : oubli significatif dans un dossier particulièrement complet et précis. Si, par défaut, on considère l'augmentation de son "capital" depuis le début de l'exploitation, la rentabilité de l'investissement paraît en fait assez dérisoire : elle n'atteint pas 2% par an229. C'est sans doute un bel exemple de ces "faux progrès" d'une agriculture "qui coûte plus qu'elle ne rapporte" et relève avant tout d'une "question d'amour propre", dénoncés en 1866 par un contempteur perspicace des concours agricoles230. L'enthousiasme de l'agronome amateur l'emporte sur le calcul financier, et la logique capitaliste est étrangère aux investissements du propriétaire.
Voir en annexe : comptes de Goyty (20).
Il faut toutefois noter que ce calcul ne prend en compte que les revenus monétaires. Sans doute la métairie pourvoit-elle aussi en partie à la consommation du propriétaire.
Ministère de l'agriculture, du commerce et des travaux publics, Enquête agricole, 17e circonscription, Paris, 1868. Réponse au questionnaire par M. Félix Labrouche.