Des métayers stables

L'autre clef de la réussite de l'exploitation est sans doute l'exceptionnelle stabilité des métayers. Installés depuis 36 ans, Pierre Bordalès et son épouse n'ont pas eu d'enfants, mais ils ont prévu de longue date leur succession : "Il a pris à l'âge de sept ans un neveu, Desprabens, qu'il a toujours gardé avec lui. Il l'a fait marier [...] Il a eu dix enfants, dont un mort et les autres neuf travaillent à la ferme avec leurs parents. Le premier a vingt ans et le dernier un an." Le ménage, composé de trois générations, compte donc en 1905 treize personnes, dont l'abondante force de travail dispense de faire appel à des domestiques ou à des journaliers.

Au prix de la mobilisation de toute la main d'oeuvre familiale, les métayers ont participé aux investissements du propriétaire : ils ont amendé les terres, planté la vigne et les pommiers, transporté gratuitement les matériaux de construction. Ils en ont aussi bénéficié, puisque la métairie assure désormais presque entièrement leur autosubsistance : le pain, la soupe, la viande, le lait, le cidre et le vin dont se composent leurs repas quotidiens proviennent de l'exploitation, et l'achat de viande de boeuf est leur seule dépense d'alimentation. L'autoconsommation, évaluée à 1 635 francs, constitue plus de la moitié de leurs revenus. Les recettes monétaires qu'ils tirent de la vente du froment et du gros bétail, dont les bénéfices sont partagés par moitié, ont également doublé.

Parallèlement, ils ont travaillé à la constitution d'un petit capital d'exploitation qu'ils pourront transmettre : le gros cheptel, qu'ils possèdent en commun avec le propriétaire, et le matériel agricole. Par sa composition, leur outillage est au premier abord assez proche de celui d'Etcheederrea ou d'Errecartia. Il ne s'en distingue que par le nombre des instruments, et surtout par la présence d'une charrue à avant-train. Estimé à 1 500 francs, il est pourtant d'une valeur bien supérieure : avant que ne sonne l'heure de la mécanisation, l'outillage à main s'est certainement perfectionné et enrichi231.

Mais les métayers ont surtout considérablement développé les petites productions qui échappent au partage à mi-fruit. L'élevage des porcs et des volailles, destinés à la vente, constitue la principale source de leurs revenus monétaires. Ils nourrissent douze porcs, soixante poules et quinze oies, investissement infiniment plus rentable que celui du propriétaire. L'exemple analogue des métayers du Pays d'Orthe232 montre que la notoriété des jambons de Bayonne et des foies gras des Landes doit sans doute beaucoup au métayage, ou plutôt aux métayères qui ont su inventer ainsi leurs propres stratégies productives, et contribuer à la viabilité voire à l'excellence de l'exploitation.

Notes
231.

Faute de description précise, il est difficile de se faire une idée exacte de l'évolution de l'outillage. Jose-Miguel de Barandiaran décrit ainsi plusieurs modèles successifs de hache-paille à main, plus élaborés que l'exemplaire décrit en 1856 par E.Delbet. Le recensement des anciens outils de Sare comme l'intense activité des forgerons laissent par ailleurs penser qu'aux instruments de bois se sont progressivement substitués des instruments de fer, plus coûteux et plus efficaces, mais dont la dénomination ne change pas.

Arch. Musée National des Arts et Traditions Populaires Ms 48.82 et Ms 48.83 : Joseph-Michel de BARANDIARAN, L'équipement agricole à Sare (Basses-Pyrénées). Mai-août 1947 et février 1948.

232.

Ces métayers des Landes étudiés en 1887 par un disciple de Le Play tirent également une partie de leurs revenus de l'élevage des oies et des canards. Ils vendent notamment leurs foies gras.

Baron d'ARTIGUES, Métayers à famille-souche du pays d'Horte (Gascogne), Les Ouvriers des Deux Mondes, Paris, Firmin-Didot, 1887, pp. 341-408.