A défaut de sources macroéconomiques, ces grands mouvements de la conjoncture illisibles à l'échelle de l'exploitation n'ont guère laissé d'échos que dans les rapports des administrateurs. Jusqu'au désenclavement du Second Empire, la cherté des subsistances et les risques de disette sont leur préoccupation constante, dans un département qui produit moins de céréales qu'il n'en consomme. Pendant l'hiver 1853-54 encore, le procureur impérial relève une recrudescence des délits de braconnage et des vols de récoltes et de bois de chauffage consécutifs à la disette234. "Nous sommes menacés cet hiver non seulement d'une disette mais d'une famine" s'alarme-t-il à nouveau en 1856. La crise de subsistances de 1857 est en effet des plus sévères, mais c'est la dernière : cette année-là, pour la dernière fois, "toutes les denrées de première nécessité manquent généralement"235 et le procureur déplore un "état extraordinaire de misère"236.
Mais les principales victimes en sont les journaliers, "à la fois privés de récoltes et de ressources pécuniaires"237. Très dépendants des marchés, ils subissent et la cherté des subsistances, et le chômage. Les petits exploitants, à la fois producteurs et consommateurs, sont dans une position plus ambivalente et plus protégée. Lorsque les céréales font défaut, les petites productions vivrières de châtaignes, de pommes de terre et de haricots les sauvent de la misère, sinon de la gêne. Ils restreignent leurs dépenses, désertent le marché foncier, et recourent au crédit238. Et c'est parfois dans les bonnes années que les administrateurs notent "le malaise des cultivateurs qui doivent livrer leurs denrées à très bas prix pour payer les impôts, acquitter les intérêts des capitaux empruntés dans les mauvaises années"239. Endettés, mais relativement abrités des crises de subsistance par l'autoconsommation, ils échappent finalement à une expropriation aussi ruineuse pour le créancier que pour le propriétaire240. Nul doute que, face à la dépression de la fin du siècle, les petits exploitants aient su faire à nouveau jouer les mêmes mécanismes d'autoprotection.
C'est dans les années 1860 que, grâce au commerce des bestiaux, les campagnes paraissent accéder à une relative aisance. Sous le double effet de la croissance et de l'émigration, "les salaires s'élèvent de manière continue"241 et l'insécurité recule : l'hiver 1863-64 "est le premier qui n'ait pas ramené ces arrestations à main armée suivies de vol"242. Cette année-là, "d'abondantes récoltes de maïs, de pommes de terre et de châtaignes assurent largement la subsistance de nos propriétaires à la campagne. Le bétail acquiert chaque jour une valeur plus grande, et procure une aisance inaccoutumée à nos éleveurs"243. Cette nouvelle conjoncture s'accompagne alors d'un premier infléchissement significatif du discours sur la petite exploitation : le département, "essentiellement agricole, adonné à l'élève du bétail […] ayant enfin par la variété de ses cultures et la division extrême de la propriété sa subsistance toujours assurée, a facilement traversé la crise alimentaire", se félicite le préfeten 1868244.
Cette subsistance acquise, la petite exploitation peut faire face à la mévente de la fin du siècle. La crise agricole d'ailleurs est ici moins vive que dans les régions céréalières245. Les premiers signes apparaissent certes dès 1874 sur le marché du froment avec des arrivages de farines de Loire et de Vendée, moins chères que celles du Midi, qui obligent les minoteries à réduire leur activité246. Le prix du blé n'est plus rémunérateur, mais la perte n'est pas sévère pour les petites exploitations qui, comme Etcheederrea, ne commercialisent que leurs surplus de froment. Plus sensible, le marché du bétail n'est touché que tardivement : c'est dans les années 1890 que la crise y bat son plein. Toutes les productions animales sont alors affectées par la mévente. En novembre 1896, à la foire de Hélette comme au marché de Saint-Palais, ni les boeufs, ni les brebis, ni les porcs ne trouvent plus preneurs247. Un an plus tard, les maquignons ont déserté les marchés et les producteurs doivent se résoudre à vendre à vil prix jusqu'à leurs volailles248. La petite exploitation pourtant résiste à la tourmente.
Arch. nat. BB-30/Basses-Pyrénées : rapport du procureur général de la Cour d'appel de Pau (second semestre 1853).
Arch. nat. AD-XIXi-1/Basses-Pyrénées : rapport du préfet au Conseil général (session de 1857).
Arch. nat. BB-30/Basses-Pyrénées : rapport du procureur général de la Cour d'appel de Pau (second semestre 1856).
Arch. nat. BB-30/Basses-Pyrénées : rapport du procureur général de la Cour d'appel de Pau (second semestre 1856).
Arch. nat. BB-30/Basses-Pyrénées : rapport du procureur général de la Cour d'appel de Pau (second semestre 1856, troisième trimestre 1859).
Arch. nat. BB-30/Basses-Pyrénées : rapport du procureur général de la Cour d'appel de Pau (mars 1850).
"Le malheureux débiteur est ruiné sans que les créanciers recouvrent le montant de leurs créances." Arch. nat. BB-30/Basses-Pyrénées : rapport du procureur général de la Cour d'appel de Pau (second semestre 1856).
Arch. nat. BB-30/Basses-Pyrénées : rapport du procureur général de la Cour d'appel de Pau (troisième trimestre 1864).
Arch. nat. BB-30/Basses-Pyrénées : rapport du procureur général de la Cour d'appel de Pau (premier trimestre 1864).
Arch. nat. BB-30/Basses-Pyrénées : rapport du procureur général de la Cour d'appel de Pau (premier trimestre 1864).
Arch. nat. AD-XIXi-1/Basses-Pyrénées : rapport du préfet au Conseil général (session de 1868).
Marie-Hélène MARCAJOUS, La crise agricole de la fin du XIXe siècle dans le département des Basses-Pyrénées, D.E.S. sous la direction d'A. Armengaud, Université de Toulouse, 1970, 119f.
Arch. nat. AD-XIXi-1/Basses-Pyrénées : rapport du préfet au Conseil général (session de 1875).
Le Journal de Saint-Palais, 29 novembre 1896.
Le Journal de Saint-Palais, 28 novembre 1897.