La petite exploitation est-elle rentable ? Déficit et destin familial

Endettée et déficitaire, la petite exploitation est-elle rentable ? C'est la notion même de rentabilité qu'il faut ici interroger. Du point de vue capitaliste, la question n'a guère de sens : on ne peut séparer, dans le revenu global de l'exploitation, le revenu du capital de celui du travail. Tout au plus peut-on évaluer, dans le cas du métayage, la rente prélevée par le propriétaire. Or, en 1866, le rapport d'une métairie ne dépasse pas 2 à 2,5 %280, tout comme les bénéfices monétaires des investissements du propriétaire de Goyty en 1904. On comprend que l'agriculture n'attire pas les capitaux : l'investissement foncier est peu rentable et ne relève pas d'une logique capitaliste.

Du point de vue de l'exploitant, seul importe le revenu global du ménage. L'exploitation est viable dans la mesure où la combinaison de l'autoconsommation, des recettes agricoles et de celles de la pluriactivité assure d'abord la survie matérielle du groupe domestique. Or, avec plus de 200 francs par tête, Etcheederrea comme Goyty obtiennent un revenu deux fois supérieur aux besoins estimés d'un ménage de journaliers au milieu du siècle281.

Etcheederrea et Errecartia pourtant présentent un budget déficitaire et sont endettées. C'est que la reproduction familiale n'est pas seulement matérielle. Elle passe aussi par des dépenses symboliques de temps, de biens et d'argent. Le propriétaire d'Etcheederrea se doit de donner aux pauvres le maïs qui lui fait défaut et de fréquenter régulièrement les marchés. Le statut des maîtres d'Errecartia s'affiche par des dépenses d'autant plus ostentatoires que la maison est en voie de déclassement, et le propriétaire de Goyty investit, sinon à perte, du moins sans compter. Dépenser plus qu'on ne gagne n'est peut-être pas le privilège de l'aristocratie, et l'analogie est forte entre le lignage noble et le lignage paysan : les stratégies familiales, le désir de reproduire ou d'améliorer son statut social, de tenir son rang, priment sur le calcul financier.

Extra-économique au sens de l'économie classique, la logique de la petite exploitation relève ainsi d'une économie familiale dont les enjeux sont la reproduction du groupe domestique, producteur et consommateur, et la transmission d'un patrimoine, incarnation d'une lignée. Son aptitude à s'insérer dans les marchés comme à s'en protéger lui confèrent à la fois son dynamisme et sa stabilité.

Notes
280.

Ministère de l'agriculture, du commerce et des travaux publics, Enquête agricole, 17e circonscription, ouvrage cité. Réponse au questionnaire : synthèse.

Louis SERS, L'enquête agricole dans le département des Basses-Pyrénées en 1866, ouvrage cité, pp. 52 à 54 : évaluation des revenus d'une bonne métairie.

281.

Voir tableau comparatif en annexe (22).

Arch. nat. C/962 : enquête industrielle et agricole de 1848. Basses-Pyrénées.

Statistique de la France, Deuxième série, tome VIII. Statistique agricole. Deuxième partie, Paris, Imprimerie Impériale, 1860.