L'affirmation de la petite exploitation rurale n'est pas plus une spécificité basque que franc-comtoise, et il serait hasardeux de l'attribuer à une quelconque particularité locale. Les enquêtes nationales comme les études locales en témoignent, il s'agit en cette deuxième moitié du XIXe siècle d'un mouvement général en France et peut-être en Europe282. Il faut même souligner le caractère quasi-exclusif de la petite exploitation, dans une région où la grande propriété accapare pourtant près de la moitié du sol283. C'est que l'exploitation reste durablement une affaire familiale : au delà d'un seuil qui ne dépasse guère avant la fin du siècle les cinq hectares de cultures, toute propriété est divisée en plusieurs exploitations et recourt au métayage.
Sans doute la clef de la pérennité de la petite exploitation réside-t-elle précisément dans ce caractère familial, qui la protège en partie des fluctuations de la conjoncture. Ouverte aux marchés, elle accentue à partir des années 1860 son orientation vers l'élevage et recourt largement au crédit. Mais attachée à un idéal d'autosuffisance, elle adapte son activité aux besoins de consommation et aux capacités de travail du groupe domestique, dont elle vise avant tout la reproduction matérielle et symbolique.
Longtemps considérée comme un archaïsme, la résistance de la petite exploitation n'a pourtant rien de l'immobilité. On assiste au contraire en ce demi-siècle à des mouvements complexes de déclin et d'ascension, à des disparitions mais aussi à des naissances : si la petite exploitation est pérenne, elle n'est ni immortelle ni inerte. Rien n'est totalement aléatoire dans ces dynamiques divergentes étroitement liées à la position sociale de la famille. Rien n'est fatal non plus dans ces destins souvent infléchis, où l'accident le dispute souvent aux choix individuels et familiaux. La messe n'est jamais dite d'avance, et chaque exploitation trace sa trajectoire singulière dans le champ des possibles. C'est ce champ des possibles qu'il faut maintenant tenter de mesurer dans ses deux dimensions majeures : l'accès à la terre d'une part, les orientations productives, agricoles et pluriactives, d'autre part.
Jean-Luc MAYAUD, La petite exploitation triomphante, France XIX e siècle, ouvrage cité.
Ministère de l'agriculture, La petite propriété rurale en France. Enquêtes monographiques (1908-1909), Paris, Imprimerie nationale, 1909, 348 p.