Arrangements avec les lois révolutionnaires

Elle commence, le 13 juin 1793, par un contrat de mariage illégal. Cette année-là, Pierre Eliçagaray marie son fils Domingo et veut en faire, selon la coutume mais au mépris des lois révolutionnaires300, son unique héritier. Or Domingo a une soeur, Catherine, qui peut prétendre à la moitié de la succession. Aussi le contrat comporte-t-il une double clause de renonciation à l'héritage :"il demeure de plus convenu et arrêté entre ledit Elissagaray futur époux et Catherine Delissagaray sa soeur que celle-cy renonce dors et déjà à toutes ses prétentions tant en légitime qu'autrement sur la succession de ses père et mère, ayeul et ayeule, au moyen de la somme de quatre cent livres, que ledit Domingo s'oblige de luy payer lorsqu'elle s'établira en mariage ou aura atteint l'âge de vingt-cinq ans, et qu'elle aura de plus à sa disposition le lit, le coffre et le menu bétail qu'elle a en vertu des testaments de ses ayeul et ayeule [...]"301. Parallèlement, la future épouse Jeanne Durrels, cadette de la maison Etcheverria302, reçoit en contrepartie de sa renonciation une dot de 1 200 livres, "laquelle somme de 1 200 livres tiendra à ladite Jeanneton lieu de toute légitime ou autres prétentions [...] Jeanneton renonce dors et déjà à tous les avantages qui pourront lui revenir sur la succession de ses père et mère".

Jamais la rigueur de l'exclusion des cadets ne se manifeste aussi crûment que lorsque, confrontés aux lois révolutionnaires, familles et notaires les contraignent ainsi à expliciter leur consentement. Peu de notaires du reste se sont risqués à ce périlleux exercice, et les contrats de mariage sont rares à cette époque. Jusqu'au Code civil qui remet en vigueur la faculté de tester et la possibilité d'avantager un enfant par la quotité disponible, on a généralement préféré éviter le partage par des arrangements occultes au sein des familles, parfois par des ventes déguisées303.

En échange de la légitime de 400 livres versée à sa soeur, largement compensée par la dot de 1 200 livres de son épouse, Domingo Eliçagaray est désormais propriétaire à part entière d'Ithurburua. Son père lui fait donation de ses biens fonciers, évalués à 1 200 livres, et d'une partie du bétail estimée à 100 livres : "la moitié du prix d'une vache qu'il a, un petit cochon qu'il a aussi et seize têtes de menu bétail de ceux qu'il a aussi actuellement ainsi que quinze ruches avec leurs abeilles qu'il évalue cent livres". La donation pourtant ne prendra plein effet qu'au décès de son père, veuf, qui se réserve "la jouissance de la moitié de la dite maison et dépendances d'Ithurburu" : la transmission intégrale s'accompagne nécessairement d'une période de cohabitation entre les deux générations.

Notes
300.

La loi du 8 avril 1791 institue l'égalité entre héritiers. Le décret du 7 mars 1793 supprime la faculté de tester et de faire des donations.

301.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8862 : contrat de mariage du 13 juin 1793.

302.

Voir monographie d'Etcheverria : chapitre 6.

303.

"La plupart des pères assurent aux aînés la propriété exclusive de leurs héritages par des ventes simulées". Général de SERVIEZ, Statistique du département des Basses-Pyrénées, Paris, An X, p. 124.