Pierre Durrels disparaît en effet dès 1843, après deux ans de mariage, laissant sa veuve avec une petite fille de un an et un fils posthume. Sa dot n'est pas encore entièrement versée : son frère aîné lui est encore redevable de 300 francs, qui ne seront semble-t-il jamais acquittés.
Contrairement aux veufs, les veuves ne se remarient que rarement310. Elles poursuivent généralement l'exploitation avec l'aide de leurs enfants, d'un frère célibataire, ou de domestiques. Pendant huit ans, le ménage formé de Marie Eliçagaray, sa soeur Julie, et de leurs parents encore jeunes est sans doute suffisamment nombreux pour une exploitation qui ne compte que trois hectares de labours. Mais la survie du groupe domestique est bientôt menacée, et avec elle l'avenir de l'exploitation : Julie arrive bientôt en âge de se marier, Pierre Eliçagaray et Marie Héguy approchent de la soixantaine. Marie, qui risque de se retrouver rapidement seule à la tête de l'exploitation, épouse alors en secondes noces Etienne Salaberry311. Originaire de la commune voisine de Meharin, Etienne est le neveu d'un métayer de Hélette. Il n'apporte qu'une modeste dot de 1 200 francs, mais une force de travail qui s'avère rapidement indispensable avec le départ de Julie, qui se marie en 1853, puis le décès de Pierre Eliçagaray en 1856 : la cohabitation des deux couples, prévue comme toujours par le contrat de mariage312, ne dure que quelques années.
De ce second mariage naissent à nouveau en 1852 un fils, puis une fille en 1858 : le groupe domestique est en voie de reconstitution. Mais l'année 1860 est dramatique : en quelques mois, Marie Eliçagaray perd ses deux fils et sa mère. Le 12 février, Pierre Durrels, enfant posthume du premier lit, meurt à l'âge de seize ans. Une semaine plus tard, c'est le tour de Pierre Salaberry, né du second mariage, âgé de huit ans. Le 12 juin enfin, avec Marie Héguy disparaît la génération des anciens313. De la nouvelle génération, ne restent que les deux filles, Marie-Louise Durrels et Jeanne-Marie Salaberry. Brutalement touché, le groupe domestique se renforce alors d'un jeune domestique de 14 ans et d'un frère d'Etienne, Jean Salaberry314.
Le remariage de Marie Eliçagaray laisse pourtant planer sur l'avenir de la maison une nouvelle menace : les risques de conflit sont forts entre la fille aînée et son beau-père comme entre les deux héritières nées de deux lits différents, et il n'est pas rare que les remariages se soldent par des dissensions familiales et un partage. Sans doute ces craintes ont-elles conduit à précipiter le mariage de Marie-Louise Durrels, exceptionnellement précoce : à 19 ans, elle épouse en 1861 son oncle par alliance Jean Salaberry, deux fois plus âgé qu'elle315. Doublement renforcée par l'association entre les deux frères et par l'autorité que confère au nouvel époux la différence d'âge, la cohésion du groupe domestique écarte tout risque de dispersion du patrimoine.
L'acte de mariage qui attribue à Marie-Louise le quart préciputaire la désigne comme l'héritière. Mais l'arrangement familial ne trouve son épilogue qu'en 1885, après le décès de sa mère. Un mois avant le mariage de Jeanne-Marie, Etienne Salaberry et sa fille vendent à l'héritière tous leurs droits sur Ithurburua pour une somme forfaitaire de 3 500 francs, dont 3 000 constitueront la dot de Jeanne-Marie qui épouse un propriétaire-cultivateur de la commune voisine d'Iholdy. Etienne, âgé de soixante-sept ans, garde sa place à Ithurburua où il s'engage à travailler "selon ses forces" en contrepartie de son logement et d'une petite rente viagère316.
On compte dans les registres d'Etat civil de Hélette comme d'Ascain cinq à six remariages de veufs pour un remariage de veuve.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8881 : contrat de mariage du 16 novembre 1850. Arch. com. Hélette : registre des mariages.
"Ils vivront ensemble et en ménage commun; [...] tous les revenus seront partagés par moitié et les charges supportées dans la même proportion seulement quant à ce qui a rapport à l'exploitation de leurs biens". Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8881 : contrat de mariage du 16 novembre 1850.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 7 juillet 1860.
Arch. com. Hélette : liste nominative de recensement de 1861.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8882 : contrat de mariage du 12 août 1861.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18045 : cession de droits du 19 mars et contrat de mariage du 30 avril 1885.