Mésalliance et dissensions familiales

La disparition la mère, précédée de peu par celle de Jeanne343, laisse seuls les deux frères célibataires qui doivent faire appel à plusieurs domestiques : un jeune homme de vingt ans, et une servante espagnole accompagnée de sa fille naturelle344. C'est alors que Jean Doyhambehere se décide à se marier : en 1868, il prend pour épouse sa servante Jeanne Lucambio.

Il n'a plus à cette date que quatre cohéritiers à dédommager. Son frère Pierre, célibataire, renonce à sa part : le jour du mariage, il lègue tous ses biens à son frère aîné. Il obtient en échange l'assurance de finir ses jours dans sa maison natale : il en aura l'usufruit s'il survit à son frère et sa belle-soeur345. Les trois autres, qui ont quitté la maison, lui vendent leurs droits pour une somme forfaitaire de 1 500 francs chacun, soit un total de 4 500 francs346. La future épouse n'apporte en contrepartie qu'une dot minime et sans doute fictive : "une somme de 500 francs, provenant de ses économies, que le futur époux reconnaît avoir reçue précédemment"347. Jean Doyhambehere doit alors s'endetter : il emprunte 2 500 francs à son voisin Dominique Hirigoyen, maire d'Ascain, et reste par ailleurs redevable de 500 francs à l'un de ses frères.

On ne peut jusqu'ici qu'imaginer les tensions et les frustrations générées par ces célibats prolongés sous la probable tyrannie de la mère, puis par la mésalliance du frère : aucun indice ne vient en témoigner de leur vivant. Qu'ils aient choisi le célibat ou le déclassement, tous les cadets semblent se soumettre à la coutume qui veut qu'un seul enfant hérite des terres, et personne ne demande le partage.

Mais avec le décès de Jean Doyhambehere, deux ans plus tard, la force des solidarités familiales se retourne contre sa veuve. Aux termes de son contrat de mariage, Jeanne Lucambio était donataire des biens de son mari, "mais en usufruit seulement pendant sa vie". En l'absence de descendants, les frères et soeurs Doyhambehere devaient donc hériter de la propriété et le patrimoine se transmettre au sein du lignage. Or Jean Doyhambehere, malade, a rédigé peu avant sa mort un nouveau testament en faveur de sa femme, dont il a fait sa légataire universelle348 : c'est sans doute là la transgression majeure, qui déclenche les hostilités.

Notes
343.

Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 28 août 1863.

344.

Arch. com. Ascain : liste nominative de recensement de 1866.

345.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15617 : testaments du 10 novembre 1868.

346.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15617 : ventes des 31 janvier, 29 février et 7 avril 1868.

347.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15617 : contrat de mariage du 10 novembre 1868.

348.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15619 : testament du 5 avril 1870. Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 29 août 1870.