Vente aux créanciers

Dépossédés, les cadets poussent leur belle-soeur à la faillite. Un mois après le décès de son mari, Jeanne Lucambio doit emprunter à nouveau 1 000 francs à Dominique Hirigoyen pour s'acquitter des 500 francs encore dus à son beau-frère349. Puis Pierre, toujours propriétaire de sa part de 3/20, révoque son testament350. Le remariage de la veuve qui épouse en 1876, sans contrat, un métayer espagnol, n'a pu qu'exacerber les tensions.

Le conflit éclate ouvertement à l'occasion du décès de Pierre Doyhambehere en 1877351 : les héritiers sont bien décidés à faire payer sa part au prix fort à leur belle-soeur, qui n'est toujours propriétaire que des 17/20. L'affaire pourtant n'est pas portée devant la justice, à laquelle on préfère généralement les arbitrages locaux : "dans cette situation, rapprochés par des amis communs, ils ont traité et transigé"352. Jeanne Lucambio doit se résoudre à verser une somme de 2 400 francs, soit environ un quart de la valeur de la propriété353, aux héritiers qui ne renoncent pas pour autant à leur patrimoine. Dans une tentative désespérée de maintenir le bien dans le lignage, ils font inclure dans le contrat de vente une clause restrictive qui restera sans effet : "pendant le délai de dix années, les époux Lavandibar s'interdisent de vendre l'ensemble de la propriété d'Etchegaraya sans prévenir M. Pierre Doyhambehere et lui donner la préférence à égalité de prix".

A nouveau, Jeanne Lucambio se tourne vers son créancier Dominique Hirigoyen pour emprunter 3 500 francs354. Lourdement endetté, le ménage manque par ailleurs de main-d'oeuvre familiale et doit recourir à l'aide de métayers355. En 1883, il doit se défaire d'une pâture et contracter un nouvel emprunt de 1 200 francs. La faillite est consommée en 1888 lorsque l'héritier de Dominique Hirigoyen, architecte à Saint-Jean-de-Luz356, se rend propriétaire d'Etchegaraya pour 8 200 francs, soit le montant de ses créances357.

Mise en métayage, l'exploitation n'échappe pourtant que pour un temps à la propriété paysanne. La propriété foncière et le statut de rentier n'intéressent plus guère la petite bourgeoisie urbaine : entre 1901 et 1907, les héritiers de Dominique Hirigoyen vendent tous leurs biens à Ascain358. Etchegaraya trouve pour acquéreur un métayer de la commune, et son histoire s'identifie dès lors à celle d'une nouvelle dynastie de petits exploitants, qui s'y perpétuent jusqu'à nos jours359.

L'échec de cette succession est certes difficile à interpréter dans sa singularité. On peut y voir aussi bien le probable effet des lois révolutionnaires, la résultante de tensions entre frères et soeurs que la volonté d'une mère de garder la haute main sur son bien : paradoxalement héritière mais mineure selon le Code civil, elle n'accède au pouvoir que veuve avec des enfants célibataires. Mais quoi qu'il en soit des motivations qui nous resteront toujours obscures, l'histoire d'Etchegaraya montre qu'une stratégie patrimoniale rigide peut aussi mener à un échec, qui ne signifie pas pour autant la mort de l'exploitation : les échecs viennent au contraire alimenter le marché foncier et ouvrir à des familles de métayers ou de micro-propriétaires des perspectives d'accès à la propriété.

Notes
349.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15619 : quittance du 29 juillet et obligation du 29 août 1870.

350.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15622 : révocation de testament du 23 mai 1873.

351.

Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 26 avril 1878.

352.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15627 : vente du 26 avril 1878.

353.

La propriété est vendue 8 200 francs en 1888, et 10 000 francs en 1907.

354.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15627 : obligation du 3 mai 1878.

355.

Arch. com. Ascain : listes nominatives de recensement de 1881 et 1886.

356.

Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 7 août 1880.

357.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15637 : vente du 5 avril 1888.

358.

Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 2 mai 1910. Arch. com. Ascain : matrices cadastrales.

359.

Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 22 septembre 1911. Arch. com. Ascain : matrices cadastrales et listes nominatives de recensement. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 1204-W/11 : enquête agricole de 1942. Commune d'Ascain.