Deuxième succession (1865-1888) : l'héritier ne prend pas la succession

La succession suivante s'annonce très vite après, avec le mariage de la fille aînée en 1865. Comme sa mère, Marie Etcheguia est mariée très jeune, à 21 ans, mais elle est établie avec un propriétaire voisin et n'est donc pas destinée à succéder à ses parents. La maisonnée est trop pleine en effet : elle compte alors neuf enfants, dont la benjamine vient tout juste de naître, et les aînés doivent partir.

Le départ de Marie Etcheguia a été précédé et sans doute préparé par celui de sa grand-mère. Depuis 1861, Marie Jaureguiberry est logée dans la maison voisine d'Illaïnabaïta dont le groupe familial, à l'inverse de celui de Chetabebaïta, est en période d'étiage et dépourvu de main d'oeuvre féminine. Elle y cohabite avec Martin Inchaurhandieta, veuf sans descendance, et son neveu et héritier Jules Dardans377. C'est à ce dernier que l'on marie sans dot ni contrat la fille aînée, qui rejoint ainsi sa grand-mère à Illaïnabaïta à partir de 1865.

Jean-Baptiste et Marianne quittent aussi la maison à l'âge de quinze ans. On n'a pas de trace de Marianne, probablement servante à Bayonne comme ses tantes; son frère est domestique à Ascain en 1866, puis dans la commune voisine de Sare en 1870378. Avec le décès de la dernière née en 1866, la maisonnée est ainsi réduite à sept personnes : Joseph Etcheguia, 54 ans, Dominica Darrayoague, 43 ans, et leurs cinq plus jeunes enfants.

Les décès prématurés de Joseph Etcheguia en 1868 puis de son épouse en 1870 mettent en péril la survie du groupe domestique et posent de façon urgente le problème de la succession379. Comme son père, c'est à la veille de sa mort que Dominica Darrayoague dispose de ses biens. Couchée "en la chambre du rez-de-chaussée dans une alcôve", elle écoute le notaire lui lire en langue basque un testament qu'elle ne peut signer "pour ne savoir", par lequel elle lègue le quart préciputaire à son fils Jean-Baptiste, deuxième né380. Mais l'héritier désigné ne prend pas la succession. En 1872, c'est sa soeur aînée Marie qui exploite Chetabebaïta avec son époux Jules Dardans, sa grand-mère, ses trois enfants et ses trois plus jeunes soeurs, tandis qu'Illaïnabaïta est affermée pour 65 francs381.

L'héritier quant à lui organise son départ pour l'Amérique. Très vite après le décès de sa mère, il emprunte 400 francs pour "son frère Michel Etcheguia, cultivateur, âgé de dix-sept ans révolus, demeurant à Ascain, (qui) va prochainement prendre passage sur le bateau à vapeur de la Compagnie anglaise du Pacifique, partant de Bordeaux, pour se rendre à Buenos Ayres"382. Quelques mois plus tard, il emprunte à nouveau 1 000 francs à son voisin Francisco Sarrasola, rentré d'Amérique pour acheter une maison et placer quelques créances383. Après Michel, envoyé en éclaireur, Jean-Baptiste et Marianne demandent à leur tour leur passeport en 1872; ils sont suivis par leurs soeurs Dominga et Marie-Louise en 1873, et enfin par Françoise en 1877384. Six des huit enfants de cette génération ont ainsi choisi l'émigration et font souche en Argentine où plusieurs d'entre eux se marient.

Il est possible que l'héritier, pour sa part, n'ait envisagé l'émigration que comme une solution temporaire destinée à se libérer de la dette de la maison. Celle-ci en effet s'est encore alourdie depuis la succession précédente : les époux Etcheguia ont dû emprunter 1 200 francs en 1863, puis 2 000 francs en 1868, pour rembourser les obligations contractées en 1837 et 1859. La dette de 3 200 francs dépasse la valeur déclarée de l'exploitation. Mais lorsqu'il revient en 1888, c'est pour vendre à sa soeur aînée ses droits et ceux de ses cadets : chaque cohéritier reçoit 170 francs, et Baptiste 611 francs385.

Après dix-huit ans d'indivision, les successeurs Marie Etcheguia et Jules Dardans deviennent donc entièrement propriétaires de Chetabebaïta pour 1 630 francs. Il n'est pas certain d'ailleurs que le montant des droits, "reçu d'eux hors de la vue du notaire et témoins, antérieurement", ait été réellement versé. Mais ils héritent aussi d'une dette de 3 200 francs, qui fait peser sur l'exploitation une rente annuelle de 160 francs.

Notes
377.

Arch. com. Ascain : listes nominatives de recensement. Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutations par décès des 7 avril et 16 novembre 1860.

378.

Arch. com. Ascain : liste nominative de recensement de 1866. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15619 : testament du 5 mars 1870.

379.

Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutations par décès des 2 avril 1869 et 19 juillet 1870.

380.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15619 : testament du 5 mars 1870.

381.

Arch. com. Ascain : liste nominative de recensement de 1872. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U 33/11 : affaire du 24 novembre 1874, qui oppose Jules Dardans à son fermier pour 10 francs de fumier.

382.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15619 : caution du 10 octobre 1870.

383.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15620 : obligation du 27 janvier 1871.

Voir biographie d'Urritxagacoborda : chapitre 2.

384.

Arch. com. Ascain : émigrants pour Montevideo et Buenos Ayres et demandes de passeports (1856-1890).

385.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15637 : vente du 9 juin 1888.