Troisième succession (1898-1906) : le successeur n'est pas propriétaire

Confrontée à la même configuration démographique, la génération suivante répète les mêmes pratiques successorales. Mariée à 21 ans, Marie Etcheguia a eu neuf enfants, nés de 1866 à 1888. A nouveau, passé l'âge de quinze ans, les aînés doivent quitter la trop petite exploitation. Les filles sont placées comme domestiques, et seuls les garçons émigrent à cette génération : Michel puis Christophe ont rejoint leurs oncles à Buenos Aires au moment du conseil de révision386. C'est à nouveau à l'approche de son décès aussi que Marie Etcheguia désigne pour héritier le seul de ses trois fils qui n'a pas émigré : Baptiste, cinquième né, qui effectue alors son service militaire à Tarbes387.

Mais s'il succède bien à ses parents, Baptiste ne sera jamais propriétaire de leurs biens. Son père Jules Dardans, qui survit de peu à son épouse, partage à nouveau la propriété. A sa fille Marie, il attribue Illaïnabaïta, son bien personnel. Parallèlement, il fait l'acquisition d'une autre petite exploitation voisine, Apitouchenea, propriété des cousins de son épouse, dont tous les héritiers ont émigré388. Les deux exploitations sont cette fois réunies : la maison d'Apitouchenea est détruite, et ses terres sont converties en prés389.

Agrandie de deux hectares de prés mais toujours aussi endettée, Chetabebaïta reste en indivision après son décès en 1901390. Cinq ans plus tard, son fils Michel, laitier à Buenos Aires, revient à Ascain à l'occasion du mariage de Baptiste et devient propriétaire de Chetabebaïta. Mais il repart aussitôt pour Buenos Aires, laissant la succession à son frère, puis à son neveu, qui sont toujours ses fermiers en 1946391.

Le destin démographique de l'exploitation pèse ici lourdement sur ses stratégies successorales. Quand le groupe domestique trop nombreux doit se défaire rapidement de ses aînés, le mariage précoce engendre le mariage précoce, et au contrat de mariage se substitue le testament rédigé dans les dernières extrémités. Entre les trop nombreux héritiers, le partage est parfois nécessaire, et le successeur n'est pas toujours l'héritier. D'autant plus souple qu'il s'inscrit dans le cadre d'une circulation élargie des terres au sein de la parenté et du voisinage, le mode coutumier de transmission s'accommode ainsi de formes juridiques diverses. Grâce aux solidarités familiales et au renoncement des cadets, l'intégrité de l'exploitation est chaque fois préservée : l'issue trouvée à la dernière génération, alors que l'exploitation est au bord de la faillite, indique que la dimension patrimoniale l'emporte sur le calcul économique.

Notes
386.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 1R / 415 à 865 : registres matricules de recrutement.

387.

Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 15 juillet 1898.

388.

Arch. com. Ascain : matrices cadastrales. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 1R / 415 à 865 : registres matricules de recrutement. Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 24 avril 1888.

389.

Arch. com. Ascain : matrices cadastrales, liste nominative de recensement de 1901.

390.

Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 25 novembre 1901.

391.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 1204-W/11 : enquête agricole de 1942. Commune d'Ascain. Arch. com. Ascain : listes nominatives de recensement (1911-1946).