C'est le mariage de Catherine Elgart qui permet en 1874 la relance de la politique foncière des deux exploitations. Depuis 1857, Lekheroa n'a pu se permettre aucune nouvelle acquisition. Les journalières de Landartia ont continué à vendre quelques pâtures, mais ont gardé la propriété de leurs terres cultivées, entièrement transformées en prés et affermées à Bernard Urgorry, charpentier et frère de Marie414.
Après presque trente ans de mariage, Pierre Elgart et Marie Urgorry sont toujours aussi endettés, mais disposent d'un patrimoine foncier évalué à 5 600 francs et se sont constitué un petit cheptel : "une paire de vaches, une pouliche, un mulet et 27 têtes de menu bétail" ovin415. Surtout, un comportement démographique exceptionnellement réservé leur permet de trouver à leur fille un époux bien doté : mariée à seize ans, Marie Urgorry n'a donné naissance à Catherine que sept ans plus tard, et c'est à l'âge de à 26 ans qu'elle a mis au monde son deuxième et dernier enfant Bernard.
Catherine Elgart, qui reçoit la part préciputaire de Lekheroa, n'aura donc qu'un frère à indemniser. Son époux Thomas Arhancet, fils de propriétaires de la commune voisine d'Iholdy, apporte pour sa part, outre 300 francs en mobilier et en outillage agricole, 1 300 francs "de son pécule particulier", 800 francs en avancement d'hoirie, et une dot de 1 800 francs destinée à payer les créanciers hypothécaires, soit 3 900 francs en numéraire. C'est à la faveur de cette dot que l'exploitation s'adjoint les trois parcelles supplémentaires de Landartia, dont les terres finissent de se disperser.
Dégagée de ses dettes, la maison poursuit son ascension malgré les malheurs qui la frappent. En l'espace de deux ans disparaissent Pierre Elgart puis sa fille416. En l'absence de descendants, le contrat de mariage n'accorde au gendre qu'un droit de jouissance sur les biens de son épouse. Mais il prévoit aussi un droit de retour sur la dot, que Marie Urgorry est certainement dans l'incapacité de rembourser. A nouveau, un arrangement est trouvé : deux mois à peine après le décès de Catherine, Marie Urgorry et son fils Bernard vendent la propriété à Thomas Arhancet417. Bernard Elgart, domestique de ferme, reçoit 600 francs de dédommagement. Quant à Marie Urgorry, elle se contente d'une chambre et de son entretien à Lekheroa, "moyennant que la veuve Elgart travaillera sur ces lieux suivant que ses forces et son âge le lui permettront". Elle n'a que 48 ans, et cohabite avec son gendre bientôt remarié pendant plus de vingt ans.
Désormais propriétaire de Lekheroa, Thomas Arhancet achève l'oeuvre de ses beaux-parents. En 1886, il rachète à un propriétaire voisin trois des parcelles de Landartia sorties en 1873 du cercle de la parenté418. Lekheroa apparaît ainsi comme la principale bénéficiaire du démantèlement de Landartia, dont elle a peu à peu acquis la moitié des terres cultivées. La même année, les descendants du médecin Pierre Larre, grand créancier et rassembleur de terres de la commune419, lui vendent à leur tour la petite métairie d'Attachenia. Les maisons de Landartia et d'Attachenia sont détruites et leurs terres remembrées, en grande partie transformées en prés, viennent agrandir l'exploitation. C'est un domaine de 22 hectares, dont près de huit sont cultivés, que Thomas Arhancet peut transmettre en 1907 à sa fille et son gendre, qui l'exploitent encore en 1942420.
A des stratégies souples de transmission, de tante à nièce ou de mère à gendre, se combinent ici des stratégies de mobilité. Y concourent la pluriactivité, le départ temporaire, l'endettement et peut-être aussi une restriction des naissances encore exceptionnelle dans cette région aux fortes pratiques catholiques421. Y concourent aussi l'extinction des familles de journaliers, qui favorise la concentration de la propriété et de l'exploitation dans le cadre privilégié de la parenté.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8884, 8885, 8886 et 8887 : ventes des 21 mars 1859, 30 juillet 1860, 19 août 1865, et 6 août 1868. Vente et bail à ferme du 1er février 1862.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18042 : contrat de mariage du 12 mars 1874.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutations par décès des 15 septembre 1876 et 23 janvier 1879.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18044 : vente du 25 septembre 1878.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18046 : vente du 10 avril 1886.
Voir chapitre 5.
Arch. com. Hélette : matrices cadastrales et listes nominatives de recensement. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 1204-W/10 : enquête agricole de 1942. Commune de Hélette.
Supérieur à la moyenne nationale, l'indice de fécondité légitime ne semble fléchir qu'après la Première Guerre mondiale malgré le maintien durable du mariage tardif. Pour la période 1833-1912, il atteint par exemple 4,28 et 4,25 dans les cantons de Saint-Etienne-de-Baïgorry et de Tardets.
André ETCHELECOU, Transition démographique et système coutumier dans les Pyrénées occidentales, ouvrage cité, pp. 69-84.