A - Un notable rural

Un rassembleur de terres

De son père et son grand-père, déjà médecins à Hélette au XVIIIe siècle488, Pierre Larre (1781-1873) a reçu en héritage deux maisons de rapport du bourg louées à des ménages de journaliers et d'artisans489 et surtout, avec le domaine familial de Larria, les plus beaux vignobles de la commune490. Lorsque, après des études à Montpellier491, il s'installe comme médecin à Hélette au début du siècle, c'est un petit notable que sa fortune jugée "honnête" autorise à participer au collège électoral de l'arrondissement492. Marianne Héguy, qu'il épouse sans contrat en 1813, lui apporte en outre deux exploitations situées dans la commune voisine de Mendionde493.

Dès son installation à Hélette, Pierre Larre se montre très actif sur le marché foncier. Lors de l'établissement du cadastre en 1834, il possède déjà 67 hectares. Il est devenu propriétaire de sept petites exploitations qu'il loue, d'une vingtaine d'hectares de pâtures, ainsi que d'un moulin et d'une tannerie achetés en commun avec son beau-frère. De 1834 à 1854, sa propriété foncière s'agrandit encore de dix exploitations de la commune. On ne sait malheureusement à peu près rien sur les procédés par lesquels il en est devenu acquéreur. De façon plutôt inhabituelle, ni la déclaration de mutation par décès, ni les actes de vente ultérieurs n'en font mention. Pierre Larre fréquente d'ailleurs assez peu l'étude du notaire du village : il fait affaire avec un probable cousin, son homonyme, notaire au chef-lieu de canton. Mais le médecin semble s'être fait une spécialité du rachat des domaines de petits propriétaires ruinés, dont les descendants déclassés sont recensés comme métayers ou journaliers. Cette activité, qui dépasse largement les frontières de la commune, s'étend sur deux cantons. Ainsi, c'est aux enchères publiques que Pierre Larre fait l'acquisition d'Etcheberrigaray, sa métairie de Lantabat494. C'est aussi à un petit propriétaire ruiné qu'il achète en 1864 son exploitation d'Armendarits, pour la lui affermer aussitôt495.

A son décès en 1873, il possède 140 hectares dans la commune, évalués 95 200 francs. Sans doute affermées496, les douze exploitations et les maisons qu'il y possède lui rapportent 5 140 francs de revenus annuels497. Mais ce n'est qu'une modeste partie (1/5) de sa fortune foncière estimée à près de 460 000 francs, qui s'étend dans douze communes voisines498. Dans les mêmes communes, Pierre Larre détient en outre à cette date 54 créances de 200 à 7 000 francs : sa fortune mobilière déclarée s'élève à 74 892 francs.

Pierre Larre était-il un de ces usuriers de canton dont les activités occultes sont si difficiles à mettre en évidence ? Rien ne permet de l'assurer. Les créances dénombrées à son décès sont passées devant notaire et présentent toutes les apparences de la légalité. Pourtant, de toute évidence, le médecin avait une activité parallèle sur un marché officieux de l'argent, dont il est impossible de mesurer l'ampleur. Il détenait de l'argent en dépôt : 9 000 francs de droits successifs et de gages de sa servante Jeanne Etchart499, une somme de 8 000 francs "remise verbalement et en dépôt" par Jean Amespil, exploitant à Hélette, que ses petits enfants remboursent après son décès500. Nul doute qu'en homme d'affaires avisé Pierre Larre ait placé ces sommes importantes, dont on peut sans mal imaginer qu'elles ne représentent que la partie émergée de son activité de banquier officieux501. Quoi qu'il en soit, son activité sur le marché foncier semble étroitement dépendante de son activité sur le marché de l'argent. En témoigne la géographie de sa propriété immobilière constituée au gré des faillites des petits propriétaires endettés, dont la dispersion contraste avec la concentration des grands domaines nobiliaires ou paysans. Homme d'argent avant tout, jamais Pierre Larre ne semble avoir cherché à regrouper en un vaste domaine foncier les 46 exploitations dont il est propriétaire à son décès.

Notes
488.

Heleta, Jean Curutchet Editions, Hélette, 1996, p. 22.

489.

Arch. com. Hélette : listes nominatives de recensement.

490.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutation par décès de sa soeur Jeanne Larre le 27 avril 1832.

491.

Heleta, ouvrage cité, p. 23.

492.

Arch. nat. F1cIII-Basses-Pyrénées : liste des membres qui composent le collège électoral de l'arrondissement (an 11).

493.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 17889 : partage du 7 juillet 1881.

494.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U12/19 : affaire du 28 septembre 1854.

495.

Deux ans plus tard, Larre demande l'expulsion de son fermier Errecalde qui n'a pas payé ses 76 francs de loyer. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U12/25 : affaire du 25 mai 1866.

496.

En l'absence de baux écrits, il n'est pas aisé de distinguer qui, des nombreux locataires de Larre, était métayer ou fermier. Les listes nominatives de recensement utilisent indifféremment les deux termes. Les archives judiciaires attestent que plusieurs exploitations de Lantabat et d'Armendarits étaient en métayage. A Hélette en revanche, l'absence de conflits entre propriétaire et locataires comme la stabilité de ces derniers laissent penser qu'ils étaient fermiers. Mais nous n'en avons la certitude que pour deux d'entre eux : le fermier d'Istillartborda, qui vend en 1851 sa récolte sur pied pour payer son loyer, et le fermier de Larria, qui se déclare fermier et propriétaire de son cheptel lorsqu'il marie sa fille en 1877. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U12/19 : affaires des 12 mai 1853 et 28 septembre 1854. 4U12/25 : affaire du 18 novembre 1866. III-E 8882 : vente mobilière du 23 septembre 1851. III-E 18079 : contrat de mariage du 1er février 1877.

497.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 16 octobre 1873.

498.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 17889 : partage du 7 juillet 1881.

499.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18042 : testament du 14 avril 1872.

500.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18044 : quittance du 8 octobre 1881.

501.

Plusieurs actes, contrats de mariage, inventaires ou partages de successions, font état de soit de "prêts" verbaux consentis à Pierre Larre, soit à l'inverse de dettes à l'égard d'une personne que l'on ne veut pas nommer, ce qui tend à confirmer la présence d'un usurier dans la commune ou ses environs.