Dans le même temps, Jean Larteguy cherche à s'étendre au détriment de Cemelaria, dont les terres bordent sa propriété au nord et se poursuivent vers le sud en direction d'Erraya : cette tentative n'est guère plus fructueuse, et sans doute faut-il lier ces deux échecs simultanés. Cemelaria est comme Errecartia une ancienne maison, riche de plus de 30 hectares, mais lourdement endettée. Les décès successifs du propriétaire et de son gendre en 1859 et 1860 laissent dans une situation très critique Marianne Durrels, jeune veuve chargée de cinq enfants qui doit contracter de lourds emprunts pour indemniser ses co-héritiers. Elle vend plus de quatre hectares de pâtures en 1861, puis un pré l'année suivante621. En 1865, Jean Larteguy accorde d'abord à sa voisine un important crédit hypothécaire de 4 500 francs622. Puis il lui achète quelques terres : une pâture, une grange et un petit pré situés sur les hauteurs, une portion de parcelle qui vient agrandir son labour, un droit de jouissance sur un chemin pour "y étendre du soustrage, y ramasser des boues"623. A nouveau, la vente se fait sous faculté de rachat, limitée à deux ans, et est assortie d'un bail en faveur de la venderesse. Mais celle-ci est rapidement acculée à la faillite, et trouve un acquéreur prêt à acheter la totalité de ses propriétés, mobilier compris624 : Jean Choutchourrou, cadet d'une maison d'Ossès, "nouvellement rentré de Buenos Ayres" avec une petite fortune mobilière qui lui permet d'accéder à la propriété625. Cemelaria est semble-t-il bradée : les 30 hectares se vendent 22 000 francs, très au-dessous du prix du marché626, juste de quoi rembourser des créances dont le montant atteint 20 273 francs627.

Notes
621.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutations par décès des 9 mars 1860 et 23 mai 1861. III-E 8881 : obligation du 1er juillet 1848. III-E 8883 : quittances du 22 mars 1853. III-E 8884 : obligation du 25 novembre 1857. III-E 8885 : vente du 23 janvier 1861; obligation, vente et quittances du 29 juin 1861; quittance du 19 juillet 1861. III-E 8886 : obligation du 7 octobre 1864.

622.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8955 : quittance du 30 avril 1870.

623.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8887 : vente du 15 octobre 1866.

624.

Marianne Durrels ne garde que la jouissance viagère d'une maisonnette et de son jardin, avec "le droit de tenir huit poules et un coq [...] un cochon avec la paille pour faire sa litière" et "de cuire ses comestibles au four de Cemelarria avec l'acquéreur dont le combustible sera fourni par lui". L'acquéreur s'engage en outre à lui fournir chaque année deux hectolitres de froment, huit décalitres de maïs, et deux charretées de bois. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8955 : vente du 19 mars et vente mobilière du 26 mars 1870.

625.

"Les frères Choutchourrou ont passé quelques années à Buenos Ayres. Jean dit Manès Haurra en est rentré avec sa femme il y a environ deux ans et s'est établi dans sa maison natale [...] Jean son frère en est rentré il y a environ deux mois." A son décès l'année suivante, Jean Choutchourrou est encore en possession d'une inscription de rente d'une valeur de 6 100 francs, d'une lettre de change de 6 000 francs, et de quatre obligations de 500 francs de la Société algérienne. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8955 : échange du 5 avril 1870. III-E 18149 : inventaire du 7 août 1871.

626.

Voir tableaux 20 à 24 en annexe : le prix de la terre.

627.

La gestion de Marianne Durrels a semble-t-il été catastrophique. Faute d'avoir fait établir un inventaire après le décès de son mari, elle a perdu tous ses droits de jouissance et de propriété et doit à ses enfants 7 892 francs dont elle ne dispose pas. Son beau-frère, nommé tuteur des enfants encore mineurs en 1871, négocie un arrangement avec les Choutchourrou qui versent officiellement 4 000 francs en 1872. Mais sans doute une partie de la transaction est-elle officieuse : trois ans plus tard, la fille aînée de Marianne Durrels apporte en mariage une dot de 25 000 francs "en deniers comptants". Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8955 : vente du 19 mars 1870 et quittances du 30 avril 1870. III-E 18149 : liquidation du 1er décembre 1871. III-E 18042 : transaction du 19 décembre 1872. III-E 18441 : contrat de mariage du 17 mai 1875. 4U12/28 : conseil de famille du 15 mai 1871.