Conclusions : la petite exploitation et le marché de la terre

Un accès élargi à la propriété

Les exploitants sont bien en effet les principaux bénéficiaires des transferts fonciers de la seconde moitié du siècle. Si la répartition de la propriété change apparemment peu, la hiérarchie foncière a été bouleversée par un mouvement général d'ascension. La domination de la bourgeoise foncière pendant la première moitié du siècle tend à s'effacer à partir de 1850. Comme dans la région lyonnaise ou le Pas-de-Calais, la propriété bourgeoise se replie sur les propriétés de résidence et aux abords des villes756.

Elle reste très présente à Ascain, proche des centres urbains de la côte. Avec l'arrivée du chemin de fer sous le Second Empire et l'essor du tourisme balnéaire se multiplient, à côté d'une petite propriété citadine toujours vivace, les propriétés d'agrément. La pression foncière est forte autour du bourg et dans le quartier du Port, qu'une nouvelle route rapproche de Saint-Jean-de-Luz. Hiriburua, vendue en 1872 à une rentière anglaise, se mue en lieu de villégiature. Milorbaïta, vendue en 1875 et rebaptisée "Villa Rosita", s'entoure d'un parc757. La petite propriété paysanne pourtant résiste. Hiriburua se replie autour de sa borde, sur les anciens communaux. Les cordonniers de Marihaurrenea parviennent entre 1860 et 1890 à agrandir leur exploitation, grâce à l'acquisition de parcelles dispersées et à la mise en valeur d'une pâture communale. Et lorsqu'à la fin du siècle le marché foncier devient moins actif, c'est la propriété paysanne qui progresse à nouveau. A Hélette, la propriété nobiliaire puis bourgeoise recule nettement dès le milieu du siècle. Erraya et les propriétés de Jean-Baptiste Oyharçabal sont mises en vente en 1859758, les métairies du baron de Garro en 1877, les 140 hectares du domaine de Pierre Larre en 1885. Ce désinvestissement parfois brutal rencontre une demande solvable, et bénéficie à la petite propriété paysanne.

La période de prospérité des années 1860-1890 est celle des transferts les plus massifs et d'une hausse sensible du prix de la terre : les exploitations comme les parcelles connaissent autour de 1870 une plus-value d'environ 1/3 à Hélette, 2/3 à Ascain759. C'est aussi le début d'un long mouvement d'accès à la propriété, à peine ralenti par la dépression de la fin du siècle, qui se poursuit pendant l'Entre-deux-Guerres. Généralement vendues en bloc, les grandes métairies comme les exploitations des petits propriétaires endettés trouvent en effet le plus souvent pour acquéreurs des cadets ou des métayers, enrichis par un séjour en Amérique ou par le commerce des bestiaux. La vente des métairies de Pierre Larre est à cet égard exemplaire : trois métayers, deux émigrés et un cadet s'approprient autour de 1890 près de 100 hectares de son domaine. Ce sont aussi des "Américains" qui s'approprient en grande partie les meilleures terres des communaux d'Ascain. Pour tous ces exclus de la succession, accéder à la propriété c'est accéder à un statut social, c'est aussi accéder à la sécurité et à l'indépendance qui font si souvent défaut aux métayers.

Notes
756.

Gilbert GARRIER, Paysans du Beaujolais et du Lyonnais. 1800-1970, ouvrage cité, p. 405. Ronald HUBSCHER, L'agriculture et la société rurale dans le Pas-de-Calais du milieu du XIXe siècle à 1914, ouvrage cité, pp. 718-719.

757.

Voir Milorbaïta (chapitre 2).

758.

Voir Erraya (chapitre 2).

759.

Voir tableaux 18 à 26 en annexe.