CHAPITRE 6. la longue persistance du metayage

Le métayage reste jusqu'à la loi de 1946764 un mode de faire-valoir très répandu dans tout le Sud-Ouest de la France. Si les montagnes y échappent en grande partie, les bas pays des plaines et des collines sont sa terre de prédilection. Le cas des Landes, en tête de tous les départements français avec près de 50% de métayers en 1882, est le mieux connu. Mais aucun des départements du Sud-Ouest aquitain n'échappe à la domination du métayage, qui l'emporte largement sur le fermage et dépasse à peu près partout la proportion de 10% des exploitants765. Au Pays basque, le métayage concerne une exploitation sur quatre en moyenne, parfois même plus de la moitié dans certaines communes des collines ou des bassins766.

Cette forte présence du métayage, qui s'accorde mal avec le stéréotype de la famille-souche nécessairement propriétaire de ses terres, est un point aveugle des écrits d'inspiration agrarienne qui s'attachent à présenter une version égalitariste de la société locale767. Les métayers des Landes ou du Lot-et-Garonne ont écrit quelques grandes pages des luttes paysannes qui ont attiré l'attention des historiens768, et dont le souvenir est entretenu par la mémoire collective769. Mais quand les métayers de Chalosse défilent en 1920 aux cris de "La terre à ceux qui la travaillent", le Pays basque clérical respectueux des hiérarchies reste silencieux. Effacé de la mémoire et de l'histoire, le métayer basque est un personnage largement ignoré, occulté par le stéréotype du petit propriétaire indépendant.

L'histoire du métayage en Aquitaine reste dans l'ensemble obscure. Son essor, au XVIIIe siècle, résulte moins d'un démembrement des réserves seigneuriales que de l'émergence d'une caste de notables ruraux, souvent eux­mêmes laboureurs à l'origine, ce qui nous éloigne du cas classique des propriétaires absentéistes de certains systèmes latifundiaires de l'Europe du sud770. Propriétaire et métayer appartiennent à la même société d'interconnaissance. Généralement présent sur ses terres, le propriétaire entretient avec ses métayers des rapports personnels de type paternaliste et clientéliste771. Aussi le métayage a-t-il plus souvent été abordé, sur le ton de la dénonciation, sous l'angle politique des liens de dépendance personnelle que sous l'angle économique de l'exploitation. Or il faut ici se garder d'un autre stéréotype qui veut qu'à l'image du Tiennon d'Emile Guillaumin le métayer soit nécessairement soumis et misérable772, et que le métayage, socialement archaïque, constitue un frein à la modernisation agricole : les comptes de Goyty comme la vente du domaine de Pierre Larre en témoignent, cela ne se vérifie pas toujours773.

Notes
764.

Sans mettre totalement fin au métayage, le statut du fermage et du métayage du 13 avril 1946 encourage à la transformation des baux de métayage en baux de fermage : "Tout bail à colonat partiaire doit être converti en bail à ferme si le propriétaire ou le colon en fait la demande" (art. 52).

765.

Annie MOULIN, Les paysans dans la société française, Paris, Ed. du Seuil, 1988, pp. 146-147. Francis DUPUY, Le pin de la discorde. Les rapports de métayage dans la Grande Lande, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1996, p. 2.

766.

Voir tableau 1 en annexe : la part du métayage d'après les enquêtes agricoles.

767.

Francis DUPUY fait une observation analogue à propos du métayage landais : "Le travail idéologique étant un perpétuel recommencement, des descendants contemporains ou quasi contemporains de cette classe sociale voudraient encore aujourd'hui nous faire accroire que les choses ne furent, en définitive, pas réellement ce qu'elles ont été. Pour cela, ils placent les événements historiques dans une opposition local/global, ou plus précisément dans un conflit indigène/étranger. Cette vision de l'histoire nous paraît doublement fallacieuse [...] parce qu'elle tend à faire apparaître la société locale comme un tout homogène et harmonieux [...]" Francis DUPUY, ouvrage cité, p. 202.

768.

Voir notamment : Philippe GRATTON, Les luttes de classes dans les campagnes, Paris, Anthropos, 1971, pp. 115-132. Francis DUPUY, ouvrage cité. Gérard BELLOIN, Renaud Jean, le tribun des paysans, Paris, Ed. de l'Atelier, 1993, 333 p.

769.

Jean LESPIAU, Luttes paysannes landaises, Mont-de-Marsan, CGA des Landes-MODEF, 1994, 426 p. Leu part dou meste ou La révolte des métayers landais, Moliets, Tanoc Productions, vidéo sans date.

770.

Francis DUPUY, ouvrage cité, pp. 77-85.

771.

"A Arengosse, tous les métayers du domaine de Castillon devaient se rendre au château pour prendre leur bulletin de vote - il n'y en avait qu'un - et ce jusque dans les années 1930 [...] Le propriétaire de Belhade n'hésitait pas à arriver à l'improviste chez ses métayers, à entrer - il était chez lui - et à jouer les pique-assiette; il semblait affectionner particulièrement les confitures [...]"

Francis DUPUY, ouvrage cité, pp. 160-161.

772.

Emile GUILLAUMIN, La vie d'un simple, Paris, Stock, 1943, 319 p. (1ère édition : 1922).

773.

Voir chapitres 3 et 5.