Le droit de direction

Si précarité et dépendance caractérisent le statut du métayer, il importe aussi de souligner que la loi comme les usages locaux font du propriétaire le véritable chef d'exploitation. Le bail à métairie en effet n'est pas un simple contrat de location : "le bailleur a la surveillance des travaux et la direction générale de l'exploitation, soit pour le mode de culture, soit pour l'achat ou la vente des bestiaux"790. Le métayer pour sa part "doit conserver à la chose sa destination et ne rien modifier à la culture"791. Ce droit de direction, qui revient sans cesse sous la plume des juristes, place le métayer dans une situation proche de la domesticité792.

Ni les usages ni la loi ne fixent de limites au droit de surveillance du propriétaire. La seule précision concerne les récoltes : "le métayer doit toujours avertir le propriétaire de son intention de faire la récolte, pour que celui-ci soit mis à même de juger de l'opportunité du fait, et d'exercer son contrôle"793. Mais les archives judiciaires l'attestent : bien des propriétaires font un large usage de leur droit de surveillance. Face à un propriétaire omniprésent qui dirige les cultures, choisit les semences et les parcelles à ensemencer, surveille les travaux, fait le compte des fourrages, le métayer ne peut opposer que sa force d'inertie794. Entre faire-valoir direct et indirect, le métayage apparaît ainsi comme une zone de flou à l'intérieur de laquelle, selon les pratiques des propriétaires, le statut du métayer peut osciller entre une totale dépendance et une relative autonomie.

Notes
790.

Loi du bail à colonat partiaire du 18 juillet 1889. Article 5.

791.

Charles AMESTOY, ouvrage cité, pp.12-13.

792.

Les hésitations du vocabulaire d'un juriste comme Charles Amestoy sont révélatrices : tentant de définir le bail à métairie comme un contrat associant un bailleur et un preneur d'une part, il présente d'autre part son guide comme destiné à résoudre "les difficultés nombreuses que soulève l'exploitation agricole, au point de vue des rapports du maître et du métayer".

793.

Charles AMESTOY, ouvrage cité, pp. 12 et sq.

794.

La surveillance exercée par certains propriétaires comme la résistance des métayers sont manifestes par exemple dans une affaire arrivée en 1895 devant la justice de paix de Saint-Jean-de-Luz. Jean-Jacques Dumont, lieutenant des douanes en retraite et propriétaire, reproche à son métayer Louis Lasconateguy de ne pas avoir respecté ses directives. Le propriétaire voulait apporter des innovations dans la culture du froment et faire expérimenter par son métayer la culture de la luzerne. Lasconateguy devait donc ensemencer en luzerne un hectare sur lequel le propriétaire avait exigé "que son métayer ne semât que des graines qui lui seraient fournies par lui Dumont". Or, selon le propriétaire, "la mauvaise volonté apportée par Lasconateguy à rétablir les luzernières qu'il a sciemment détruites oblige ce dernier à faucher les prairies naturelles au détriment de la récolte future, le mettant dans l'impossibilité absolue de nourrir dans dix ou vingt jours le bétail qui lui a été confié". Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U 33/16 : audience du 10 mai et jugement du 20 juin 1895.