L'exploitation du domaine a laissé des traces aussi rares que confuses817. A une exception près, les contrats de location sont oraux. Les documents administratifs utilisent indifféremment les dénominations de métayer ou de fermier, et leur préfèrent souvent le terme vague de laboureur. Les exploitants ne fréquentent pas plus les bureaux de l'enregistrement que les études des notaires : c'est qu'ils ne possèdent rien, et sont pour la plupart métayers.
Une bribe de contrat de métayage seulement a été couchée par écrit, lorsqu'en février 1825 François de Larralde-Diusteguy a acheté Loyaetcheberria à Saubat Lacoste et Rose Joanhots : "demeure convenu entre les vendeurs et l'acquéreur que les premiers exploiteront les objets vendus jusqu'au 11 novembre prochain, à titre de colons partiaires, à condition que l'acquéreur rendra la moitié de la semence du froment, qu'il aura la moitié du froment, des foins et regains, le tiers du maïs, et les deux tiers de la pomme, le tout livré dans le champ au moment de la récolte, et sans dixme"818. Le partage à mi-fruit de la plupart des récoltes, le prélèvement sur le champ, avant que la récolte ne soit rentrée, la probable persistance de la dîme enfin révèlent non seulement la dépendance économique du colon, mais les rapports de domination quasi-seigneuriale caractéristiques du métayage. Au début du XXe siècle encore, les métayers de Vignemont ne possèdent en propre que leurs instruments de travail : la moitié du bétail "se trouvant dans ou sur certaines fermes et biens" d'Ascain et Urrugne appartient au propriétaire, "l'autre moitié appartenant aux colons ou fermiers"819.
Le statut des exploitants pourtant n'est pas uniforme, et les propriétaires de Vignemont ont utilisé avec souplesse plusieurs modes de faire-valoir simultanés. Le maître-valet qui dirigeait en 1800 les "bordiers"820 semble avoir disparu821. En 1845, les exploitants sont présentés comme "des fermiers et métayers gênés"822. Loyaetcheberria était probablement affermée à cette époque : si Josèphe Eceïzabarrena peut en prendre la succession après le décès de son père, c'est sans doute qu'elle bénéficie d'un bail de plus longue durée que les contrats annuels des métayers823. Elle est d'ailleurs la seule des locataires de Vignemont a signer un contrat de mariage, qui révèle qu'elle est propriétaire d'un cheptel non négligeable : une paire de boeufs, trois vaches, un veau, et deux porcs824. Trente ans plus tard, ce sont Gainecoborda et Indartea qui sont affermées, l'une pour 150 francs, l'autre pour 250 francs825. En 1911 et encore en 1946, métayage et fermage coexistent ainsi sur le domaine de Vignemont, sans qu'il soit possible de déterminer à chaque moment qui est fermier ou métayer.
Certaines parcelles excentrées d'autre part sont louées à de petits exploitants indépendants. Pierre Elissalde et Marie Gelos, propriétaires de trois hectares, sont en 1852 locataires de prairies appartenant à François-Louis de Larralde-Diusteguy, auquel ils doivent 237 francs "pour solde du prix du fermage échu le 11 novembre dernier"826. Jean Larregain comme Dominique Durruty ne possèdent, eux, que leur maison et leur jardin. Cet ancien marin et cet aubergiste-charpentier récoltent pourtant du froment, du maïs et du regain, sur des terres louées à Larralde-Diusteguy827. Leur indépendance n'est que relative : ils sont les obligés et souvent les débiteurs du propriétaire828. Mais la propriété d'une maison, avec la respectabilité et la stabilité qui l'accompagnent, leur résidence dans le bourg ou sa proximité, confèrent à ces exploitants une position sociale tout autre que celle des colons, métayers ou fermiers du domaine de Vignemont.
La précarité caractérise en effet ces vies de métayers, dont près de la moitié n'apparaissent qu'à un seul recensement. Ils ont pour la plupart tourné de métairie en métairie, à Ascain et dans les communes voisines, avant de louer vers la cinquantaine, en fin de cycle familial, une des grosses exploitations de Vignemont : avec en moyenne quatre hectares de labours et deux hectares de prés, elles nécessitent une nombreuse main-d'oeuvre familiale fournie pour quelques années par les enfants adultes. Le groupe domestique se disperse ensuite, et il est exceptionnel qu'un jeune ménage prenne la succession des parents. Rares parmi eux sont les natifs d'Ascain, fils de métayers ou de très petits propriétaires. D'origine souvent inconnue, ces exploitants précaires sont pour la plupart venus d'Espagne.
Ce sont des déracinés et, aux yeux de l'administration communale comme des voisins, des misérables829. "Si vous étiez propriétaires de la maison que vous habitez et du bien que vous cultivez, je serais obligé de tirer mon bonnet devant vous, mais c'est heureusement le contraire. C'est vous qui devez le faire..." lance à l'un d'eux un arrogant meunier qui, en échange d'un peu de grain et de farine, contraint le métayer de Campagna à abriter sous son toit ses amours illicites830.
Voir tableau 4 en annexe : le domaine de Vignemont, fermiers et métayers.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15581 : vente du 8 février 1825.
La valeur du bétail qu'il possède dans ses métairies de Ciboure, Ascain et Urrugne est estimée à 18 615 francs. Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 8 mai 1912.
Arch. com. Ascain : liste nominative des individus ou citoyens de la commune d'Ascain depuis l'âge de 16 ans jusqu'à l'âge de 60 ans pour l'organisation de la Garde nationale sédentaire (28 Messidor an 7).
Les métairies de Ciboure "exploitées par des colons partiaires" sont en revanche "aux mains d'un même gérant" en 1911.
Arch. com. Ascain : état des propriétaires de la commune d'Ascain qui ont éprouvé des pertes par une inondation (18 juin 1845).
Arch. com. Ascain : listes nominatives de recensement (1846, 1851, 1856, 1861).
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 17561 : contrat de mariage du 12 novembre 1858.
Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 24 décembre 1889.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 17555 : obligation du 30 mars 1852.
Arch. com. Ascain : état de tous les propriétaires de la commune d'Ascain qui ont éprouvé des pertes par l'effet de l'inondation (15 août 1850, 4 juillet 1851, 16 et 17 juin 1856, 24 mai 1857 et 14 mai 1862).
Pierre Elissalde a emprunté 1 000 francs à Larralde-Diusteguy en 1840, puis 300 francs en 1850. Ces créances sont renouvelées en 1852, 1879 et 1889, et courent toujours en 1911. Jean Larregain, qui a acheté en 1880 plus d'un hectare de pâture communale, la vend pour une somme symbolique à Gabrielle de Larralde-Diusteguy en 1892. Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutations par décès des 24 décembre 1889 et 8 mai 1912. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15641 : vente du 14 octobre 1892.
"Métayers gênés", "métayers misérables", "métayers pauvres" : ces dénominations sont sans cesse reprises dans les demandes de secours consécutives à des sinistres.
Arch. dép. Hautes-Pyrénées 2-U-165 : dossier Sougarret (avril 1881).