Le bail à ferme d'Etcheverria (1866)

En 1866 un nouveau partage entre le père et le gendre aboutit à un dernier bail à ferme. Lourdement endetté, Jean Daguerre a marié en 1862 sa fille Augustine au principal créancier de la maison859. En échange de la dot de 10 000 francs de son époux, Augustine reçoit 1/4 des terres, mais aussi la totalité des réserves de grain, de la récolte encore sur pied860, du matériel aratoire et de l'important cheptel : quatre boeufs, quatre vaches, un veau, deux juments et quatre pourceaux. Ses parents ne se réservent qu'un cheval et un mulet. Trois ans plus tard, on offre aux deux cadets le voyage à Buenos-Aires861, et la propriété est partagée entre Jean Daguerre et son gendre.

A défaut de main-d'oeuvre familiale, le père met en location la moitié d'Etcheverria qui lui revient : il donne "à ferme, à moitié fruits, pour l'espace de trois années entières" la partie du domaine "qu'il exploite actuellement lui-même"862. Le contrat cette fois a tout d'un bail de métayage, sauf le nom. Le partage se fait entièrement en nature et à moitié fruits, même pour les produits du gros cheptel qui appartient pour moitié au propriétaire863. Le métayer partagera par ailleurs la maison, le grenier, le fenil, l'étable et le jardin du propriétaire, qui se réserve un étage du logement, quelques terres et une vache. Toute trace de redevances en revanche a disparu et, considérable nouveauté, le propriétaire loue une machine à battre le froment : la main-d'oeuvre devient rare, les maisons de journaliers sont de plus en souvent vides à partir de 1870.

Jusqu'en 1886, on trouve à Etcheverria, avec les propriétaires, un ménage de métayers. Mais l'achat de la propriété à son père mourant coûte très cher à Augustine864 : pour payer les 33 500 francs dus à des créanciers, il faut à nouveau vendre en 1884 près de sept hectares, dont plusieurs parcelles cultivées865. Le déclin économique de la maison s'accompagne de son déclin social. Non seulement elle a perdu depuis 1848 sa place au conseil municipal, mais elle entre en conflit avec la société villageoise lorsque Augustine et son mari s'opposent en 1893 à l'accès à une carrière, puis en 1897 au droit de passage d'un voisin sur une de leurs pâtures, et en 1904 à l'usage d'une vasière866. Le déclin de la propriété n'est pas celui de l'exploitation qui cultive toujours, avec l'apport momentané d'un domestique et de journaliers867, une dizaine d'hectares et reste en 1914 une des plus importantes de la commune. Mais elle ne recourt plus à partir de 1890 ni à des métayers, ni à des fermiers868.

Au rythme des mouvements de concentration et de déconcentration de la propriété, d'une histoire familiale aussi, plusieurs exploitations connaissent ainsi au cours du siècle l'alternance du faire-valoir direct, du fermage et du métayage. Deux des métairies vendues au milieu du siècle sont exploitées en 1900 par de petits propriétaires. Les micro-exploitations de journaliers dépérissent lentement : Sarhiborda n'abrite plus dans les années 1890 qu'une mendiante, Arcaiceta construite au moment du maximum démographique ne reste pas longtemps occupée, Ipharria est inhabitée de 1886 à 1911. Une bonne part des terres enfin s'est dispersée, alimentant la petite propriété paysanne.

Le métayage pourtant reste vivace dans le cadre du grand domaine paysan qui se défait ici pour se reconstituer ailleurs. Complément durable ou alternative momentanée au faire-valoir direct, il se distingue souvent mal du fermage. A travers des statuts changeants et sans cesse ambigus, c'est la logique du métayage qui reste dominante. Entre la servitude du domestique et l'autonomie du fermier, le métayer reste durablement inséré dans des liens de dépendance économique et personnelle. Entre faire-valoir direct et indirect, la métairie reste aussi une petite exploitation familiale.

Notes
859.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8885 : contrat de mariage du 16 octobre 1862.

860.

L'exploitation dispose manifestement de réserves importantes. Au mois d'octobre, ses greniers contiennent 20 hectolitres de froment et 20 hectolitres de maïs. La récolte de maïs encore sur pied est évaluée à 30 hectolitres. Soit un total de 70 hectolitres de grains, d'une valeur de 1 100 francs.

861.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8886 : reconnaissance du 23 janvier 1865. 1R / 415 à 865 : registres matricules de recrutement.

862.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8887 : bail à ferme du 8 décembre 1866.

863.

La part du bailleur est évaluée à 16 hectolitres de froment, 24 hectolitres de maïs (soit 40 hectolitres de grains), 1 hectolitre de haricots, et vingt francs de petites productions diverses.

864.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18449 : vente du 3 janvier 1883. 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 28 avril 1884.

865.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18045 et 18046 : ventes des 2 février, 26 février, 19 avril et 14 juillet 1884; vente du 16 août 1888.

866.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U-12/39 : affaire du 26 juin 1892. 4U-12/40 : affaire du 21 novembre 1893. 4U-12/42 : affaire des 2 et 16 novembre 1897. 4U-12/46 : affaire des 12 et 25 avril 1904. Arch. com. Hélette : registres des délibérations municipales. Délibération du 24 septembre 1893.

867.

Témoignant en justice, plusieurs ouvriers déclarent avoir travaillé à la journée à Etcheverria, dans les années 1890. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U-12/46 : affaire des 12 et 25 avril 1904.

868.

Arch. com. Hélette : listes nominatives de recensement (1891-1931).