Propriétaire et locataires : des modes de faire-valoir multiples

A partir de 1841, Antoine Galharraga est recensé à Ingoytia avec son épouse et ses deux fils. Il apporte à sa propriété de nombreuses améliorations foncières : il fait creuser des fossés, planter une vigne, des pommiers, et des arbres sur les communaux. Un grand pré est converti en labour878. Antoine Galharraga se déclare laboureur, et exploite en faire-valoir direct une partie d'Ingoytia avec l'aide d'une domestique. Le reste est loué, mais ici encore les formes de location sont souples et multiples. Il fait appel d'une part à un ménage de métayers, qui partage la maison du propriétaire. La rotation de ces ménages dépendants au statut précaire, espagnols pour la plupart, est extrêmement rapide : de 1846 à 1872, on en dénombre six pour six recensements.

Mais une troisième partie de la propriété d'autre part est partagée en minuscules lots loués à des micro-exploitants, journaliers ou artisans. Nous ne connaissons ces locations verbales, qui ne laissent généralement aucune trace, que grâce aux inondations qui affectent régulièrement, au printemps et en été, les basses terres en bordure de la Nivelle879. "Colons partiaires indigents" en 1845, "métayers indigents" en 1850, puis "fermiers très pauvres" en 1857 et 1862, ces locataires ont un statut incertain, et sans doute fluctuant, et ne sont pas toujours faciles à identifier : le document de 1850, écrit en langue basque de la main d'Antoine Galharraga, les désigne par leur filiation, ou par des surnoms qu'ignore l'Etat civil880. Mais le plus souvent la maison confère leur identité à ses occupants, qu'ils en soient propriétaires ou non.

Onze locataires se partagent à cette date près de trois hectares, soit près de la moitié des vastes labours d'Ingoytia. L'autre moitié est pour l'essentiel exploitée par le métayer, le propriétaire se réservant 56 ares seulement. Chacun d'entre eux cultive son maïs sur une très petite surface d'une demie à deux "goldes", soit 14 à 56 ares881. Ces très petits exploitants, qui ne possèdent ni terres ni attelage, sont tous des journaliers locataires de maisons du Port. Certains se déclarent aussi sabotier, tisserand ou fagoteur; leurs épouses ou leurs filles s'emploient également à la journée, et font des travaux de couture ou de blanchissage. La plupart figurent sur la liste des indigents auxquels la commune accorde des secours, et s'embauchent pour des journées dans les ateliers de charité auxquels est confié l'entretien des chemins882. Marge précaire et nulle part comptabilisée du monde des exploitants, ces tout petits locataires participent pourtant encore au milieu du siècle d'une forme de micro-exploitation en voie d'extinction.

Ils ne prennent plus à partir des années 1870 qu'une faible part à l'exploitation d'Ingoytia. Antoine Galharraga meurt en 1860, et son fils aîné, vicaire à Ascain, en 1869; le cadet, négociant à Marseille, disparaît en Orient883. Sa veuve âgée, seule avec sa servante, s'épuise en procès avec la fille naturelle de son époux, fait et refait son testament884. Sous la direction probable de sa fidèle servante, l'exploitation est confiée à une famille très nombreuse de métayers, dont les neuf enfants sont largement mis à contribution885. Pour la première fois en 1874, des métayers se stabilisent à Ingoytia, où ce ménage propriétaire de ses bestiaux reste plus de vingt-cinq ans.

Notes
878.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15623 : déclaration de succession du 26 décembre 1874.

879.

Arch. com. Ascain : état de tous les propriétaires de la commune d'Ascain qui ont éprouvé des pertes par l'effet de l'inondation (18 juin 1845, 15 août 1850, 16 et 17 juin 1856, 24 mai 1857, 14 mai 1862, et 1895).

880.

Voir document en annexe (7).

881.

La golde, ancienne mesure locale de superficie, est un terrain de 100 mètres de long sur 28 de large. C'est ce qu'un laboureur peut travailler en un jour avec la golde, charrue tirée par deux vaches qui lui donne son nom. Arch. Musée National des Arts et Traditions Populaires Ms 48.82 et Ms 48.83 : Joseph-Michel de BARANDIARAN, L'équipement agricole à Sare (Basses-Pyrénées). Mai-août 1947 et février 1948.

882.

Arch. com. Ascain : listes nominatives de recensement; distributions de secours (1856-1860); atelier de charité par régie sur les chemins vicinaux : listes des ouvriers (1847-1858).

883.

Archives de l'enregistrement. Bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutations par décès des 5 juillet 1860, 21 mai 1869, et 6 août 1897. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15614 et 15618 : titre clérical du 19 mai 1865; actes de notoriété des 19 mai 1865 et 20 août 1869.

884.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15623 : déclaration de succession du 26 décembre 1874. III-E 15630 : testament du 28 juin 1881. III-E 15633 : testaments du 25 août 1884. III-E 12250 : inventaire du 18 février 1895.

885.

Arch. com. Ascain : listes nominatives de recensement (1876 à 1901); extraits des registres d'appel des écoles publiques : nombre d'élèves de 6 à 13 ans ayant manqué l'école au moins quatre fois une demi-journée (1883-1898).