Depuis leur mariage en 1835, Bertrand Errecart et Jeanne Garra sont propriétaires du domaine931. Jeanne a reçu le quart de la propriété au décès de son père en 1833932, puis les droits de sa mère par contrat de mariage. Grâce à sa dot de 6 000 francs, et probablement aussi au commerce des bestiaux933, Bertrand a pu en quelques années régler les droits des cinq cohéritiers (6 600 francs), les dettes de ses beaux-parents (7 600 francs), et même racheter deux prés attribués en partage à la génération précédente (2 700 francs)934.
Les 18 hectares de cultures (8 en labours et 10 en prés) sont divisés en trois exploitations de taille inégale. Larteguia, en faire-valoir direct, est la plus importante. En 1851 comme en 1817, le ménage des propriétaires y compte une dizaine de personnes, dont six à sept adultes en âge de travailler. La main-d'oeuvre familiale, suffisante en 1817, est complétée en 1851 par quatre domestiques. Dans les bois de la propriété, Larteguiborda loge un ménage de journaliers dont la micro-exploitation de 35 ares se limite à un jardin et un petit labour. Lecumberria enfin, voisine immédiate de la maison du maître, est affermée.
A partir du 11 novembre 1839, Lecumberria est exploitée par Domingo Eliçagaray. Fils de métayers, Eliçagaray est un fermier relativement aisé : c'est un ancien soldat de l'Empire, qui bénéficie d'une pension de 250 francs935. Le "bail à ferme" qu'il signe avec Bertrand Errecart au mois de janvier suivant comporte toutes les ambiguïtés habituelles936. Il tient certes du contrat de fermage, dans la mesure où le loyer de 480 francs est fixe et versé en argent. Le vocabulaire comme les conditions du bail pourtant l'apparentent à un contrat de métayage. Le bailleur y est désigné comme "le maître" et le locataire comme "métayer", dénomination commune à tous les locataires. Une série de clauses contraignantes surtout limite l'initiative de l'exploitant. La "faculté de semer des pommes de terre" à la lisière de deux parcelles que lui accorde le bailleur, de même que l'obligation qui lui est faite de planter chaque année "à l'endroit que le maître lui indiquera" dix pieds de chênes ou de châtaigniers révèlent l'étroite surveillance exercée par le propriétaire sur le système de cultures. Ce dernier à l'inverse se réserve le droit de mettre en pré ou en culture une fougeraie de l'exploitation affermée, ainsi que la jouissance d'un touya et des bois : le locataire ne prendra que sa part de châtaignes, son bois de chauffage et les branches nécessaires à l'entretien de ses clôtures, toujours "à l'endroit que le maître lui indiquera". Même dans le cadre du fermage, le propriétaire reste tout-puissant en ce qui concerne les bois, et tout changement de culture doit recevoir son approbation.
Signé pour cinq ans, le bail est prolongé jusqu'à ce qu'en 1850 un différend oppose le propriétaire à son locataire937. Le conflit trouve sans doute pour point de départ un désaccord sur le montant du loyer, mais son origine importe moins ici que ce qu'il révèle. Le loyer de la ferme, porté de 480 à 500 francs lors du renouvellement du bail en 1845, a été ramené à son montant initial en 1849, lorsque propriétaire et locataire sont convenus de construire à frais commun une bergerie. Gage de stabilité, un fermier peut ainsi, en échange d'une remise sur le loyer, partager certains investissements avec le propriétaire.
Mais quand l'année suivante Errecart exige à nouveau 500 francs de son fermier, celui-ci contracte un second bail avec le médecin Pierre Larre avant même l'expiration de son contrat et, pendant un an, exploite deux métairies. Le recensement de 1851 le trouve à Etchebarnia, sa nouvelle ferme, avec quatre domestiques tandis que Lecumberria est habitée par un "métayer-journalier", probablement son sous-locataire. Le cumul des deux baux semble indiquer un marché des locations ouvert, plus favorable aux fermiers qu'aux propriétaires. Mais cette pratique, quoique légale et tout à fait courante dans les régions de grand culture dominées par le fermage, est fort mal acceptée en ce pays de métayage : avoir deux "maîtres" relève de la félonie.
Révélatrices aussi sont les modalités d'arbitrage qui passent par la médiation de la société locale. Pour trancher leur conflit concernant le loyer, les deux parties s'en remettent à deux "arbitres amiables compositeurs" : un huissier d'Hasparren pour le propriétaire, et Pierre Larre pour le fermier, qui se met ainsi sous la protection de son nouveau bailleur. La décision des arbitres "sera définitive, les parties renonçant à l'attaquer par tous appels". Rarement portés devant la justice, les conflits de métayage sont pour la plupart réglés comme des affaires de famille, par des arbitrages locaux et des arrangements oraux qui ne laissent généralement aucune trace.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8879 : contrat de mariage du 1er juin 1835.
Voir arbre généalogique en annexe (13).
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 6 février 1834.
Bertrand Errecart, qui fréquente des marchés parfois lointains, a de nombreux démêlés avec des exploitants du canton auxquels il a vendu des bêtes malades : un boeuf atteint de phtisie pulmonaire acheté à un marchand de Sauveterre en Béarn, une jument achetée à Saint-Jean-Pied-de-Port, un cheval qu'il vend à un laboureur d'Ayherre, une vache achetée au marché de Garris à un laboureur de Soule. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4-U-12/18 à 23 : affaires des 22 février 1851, 12 avril 1854, 31 octobre 1855, et 2 octobre 1862.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8879 : ventes des 3 juillet, 19 août et 10 octobre 1835. III-E 8880 : vente du 4 janvier 1836. III-E 18148 : liquidation et partage du 30 septembre 1869.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 16 novembre 1880.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8931 : bail à ferme du 18 janvier 1840.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8882 : compromis du 13 novembre 1851.