Débuts de mécanisation

C'est sans doute par l'introduction relativement précoce des machines agricoles que ces exploitations se singularisent le plus. Toutes en effet nécessitent une importante force de travail, qui excède les capacités d'un groupe familial même nombreux : à l'exception de deux métairies, elles doivent faire appel à des domestiques et à des journaliers. Or, depuis le milieu du siècle, les bras manquent : les plaintes des notables comme les enquêtes agricoles le montrent, les journaliers disparaissent des campagnes.

A partir des années 1860, les charrues de fabrication industrielle commencent à remplacer le vieil araire en bois, et le matériel aratoire s'enrichit d'instruments nouveaux. Jean-Pierre Larramendy, qui cultive près de vingt hectares à Hasparren avec l'aide de ses huit enfants adultes et de plusieurs domestiques et journaliers, est le seul à détailler la chronologie de ses achats. Dès le début de son exploitation en 1864, il a adopté la charrue Valcourt de Grignon et la machine à battre. L'année suivante, il y a ajouté pour les labours en planche une charrue à roues inégales fabriquée à Redon, puis en 1868 un Brabant double. Il utilise aussi une faneuse et un râteau à cheval depuis 1865, une faucheuse et un semoir de fabrication industrielle depuis les années 1880. Sa première machine à battre a été remplacée en 1880 par une batteuse à vapeur.

Son matériel agricole, comme celui des autres candidats, atteint en 1905 une valeur d'environ 2 000 francs. Presque tous ont adopté la charrue : à avant-train, tourne-oreille, défonceuse, vigneronne ou Brabant, elle est désormais bien introduite dans les campagnes991. Les semoirs mécaniques, les herses perfectionnées, les faucheuses-moissonneuses sont présents chez la plupart des concurrents. Ils sont nombreux aussi à posséder une batteuse pour le blé ou un égrenoir pour le maïs. La préparation des fourrages n'échappe pas non plus à la mécanisation : tous les concurrents ou presque disposent d'un coupe-racines, d'un hache-paille et d'un concasseur de maïs, qui remplacent à partir des années 1870 l'ancienne pelle en fer992.

Si ces instruments achetés à grands frais aux industries métallurgiques restent hors de portée des petits exploitants, les forgerons locaux fournissent souvent des modèles plus légers et moins coûteux. Cet outillage de fabrication artisanale connaît de multiples variantes plus ou moins perfectionnées, indiscernables dans les inventaires de mobilier. De l'ancien modèle à main au modèle à volant et manivelle, Barandiaran a ainsi pu dénombrer à Sare trois types de hache-paille qui ont longtemps coexisté : "pikadera", "aixturr", "garba", les paysans disposent d'un riche lexique pour distinguer ce qui, sous la plume d'un greffier, ne sera jamais qu'un hache-paille. L'usage de la charrue surtout se généralise discrètement au cours de la seconde moitié du siècle : vers 1890, elle a largement supplanté l'araire993. Achetées en commun ou louées à des entrepreneurs, les batteuses enfin se substituent dans bien des exploitations aux planches à dépiquer remisées dans les greniers : c'est "le sourd ronflement des machines à vapeur" qui, à la fin du siècle, annonce la moisson dans le bassin de Saint-Palais994.

Notes
991.

"Pau est le seul chef-lieu de département, en France, où l'on ne puisse se procurer une charrue Dombasle […] Ce premier élément de tout perfectionnement agricole, que l'on trouve partout ailleurs dans la plus humble ferme, est encore ici à l'état de très rare exception", se plaignait encore en 1865 le président d'un comice agricole. Annales de la Société d'agriculture des Basses-Pyrénées, n°2, juin 1865.

992.

Voir chapitre 3 : monographie d'Etcheederrea.

993.

Dans les années 1940, le chanoine et ethnographe Jose Miguel de Barandiaran a recensé tous les instruments agricoles de la commune de Sare. Outre une description technique très précise, accompagnée de croquis, il fournit des indications précieuses sur la chronologie des innovations. Arch. Musée National des ATP Ms 48.82 et Ms 48.83 : Joseph-Michel de BARANDIARAN, L'équipement agricole à Sare (Basses-Pyrénées), mai-août 1947 et février 1948.

Voir aussi Arch. Musée National des ATP : Enquête sur l'ancienne agriculture (1937). Pierre TAUZIA, "Les instruments aratoires du Musée Basque", Bulletin du Musée Basque, n° 53, 3ème trimestre 1971, pp. 121-176.

994.

Le Journal de Saint-Palais, éditorial du 10 juillet 1898.