Intensification

Plus que sur les progrès de l'outillage agricole, les dossiers mettent l'accent sur les améliorations foncières. Elles passent en partie par le défrichement et la mise en valeur des landes incultes. Près de Saint-Palais, le propriétaire de Bordaberry a fait défricher et amender près de trente hectares de touyas et de fougeraies pour y créer une nouvelle exploitation. A Beguios, Hasparren, Macaye, trois autres candidats ont agrandi leur superficie cultivée de deux hectares entre 1855 et 1899. Mais ces défrichements sont coûteux (600 francs l'hectare environ). Ils sont surtout limités par les besoins en pâtures et en litière995 : la mise en valeur massive des landes que notables et administrateurs ont longtemps appelée de leurs vœux n'interviendra que dans les années 1960, avec le développement des cultures fourragères d'une part, l'arrivée des tracteurs d'autre part996.

Les engrais chimiques se sont partout introduits en petites quantités. Chaque exploitation consacre 200 à 300 francs à l'achat de superphosphates et de scories de déphosphoration. C'est à nouveau Jean-Pierre Larramendy, d'Hasparren, qui fournit les renseignements les plus précis à ce sujet. Au début de son exploitation dans les années 1860, il a d'abord utilisé du guano du Pérou. C'est à la suite de la faillite de la maison de commerce qu'il a fait sans succès ses premiers essais d'engrais chimiques. Vers 1885 enfin, "à l'instigation de la Société des agriculteurs des Basses-Pyrénées", il a fait analyser ses sols et adopté les scories de déphosphoration qui "font merveille" sur ses prés. Il en achète désormais 6 000 kg par an, ainsi que du nitrate de soude et de la kaïnite.

Mais le principal engrais reste le fumier de ferme, traditionnellement complété par du terreau, des vases, des cendres de bois et des amendements à la chaux. L'effort principal porte sur la qualité du fumier997, et la grande affaire du moment est l'aménagement des étables à cet effet. "Dépourvue d'emplacement spécial pour le fumier, l'étable trop restreinte était mal conditionnée, le purin se perdait dans l'étable même, ce qui fait que le fumier en était totalement dépourvu et par là très pauvre", explique un candidat d'Itxassou. L'étable a été agrandie et aérée, son sol cimenté et creusé de deux rigoles qui conduisent le purin vers une fosse. Le fumier, abrité dans un hangar attenant, arrosé de purin tous les huit jours, donne un engrais très riche, "ce qui d'ailleurs est prouvé par la quantité sensiblement supérieure du fourrage". Sept autres concurrents ont mis en place depuis 1880 des installations analogues, parfois complétées d'une pompe à purin.

A côté de ces travaux onéreux qui sont la fierté des propriétaires, nombre de petites innovations discrètes risquent de passer inaperçues. Invisibles au cadastre, arrachages de haies998 et remembrements ne sont sans doute pas l'exclusivité des grandes exploitations. A Urrugne, un propriétaire a fait supprimer des haies qui diminuaient sensiblement l'étendue des terres arables et des prés. Quelques défrichements sont venus régulariser les soles et augmenter la surface de ses terres. A Hasparren en 1858-1860, Jean-Pierre Larramendy "arracha pas mal de haies et gagna en culture 40 à 50 ares et donna aux pièces principales 4 ou 5 hectares d'étendue". A Macaye toutes les haies vives furent remplacées par des clôtures en fil de fer, les parcelles réunies et remembrées grâce à des échanges, cinq chemins convertis en labours ou en pré.

Tout aussi invisibles sont la plupart des petits aménagements hydrauliques, drainage, irrigation, ou amenées d'eau. Certains peuvent être fort coûteux, comme les travaux entrepris par un exploitant du bassin de Saint-Jean-Pied-de-Port qui, depuis 1871, a dépensé 3 000 francs pour irriguer des terrains sablonneux grâce à une digue qui dévie l'eau de la Nive. Mais combien d'exploitants ont-ils tout simplement capté une source pour irriguer leurs prés, alimenter la cuisine, un lavoir, l'abreuvoir des volailles ou de l'étable, comme à Macaye ou Hasparren ? ou installé une citerne devant la maison, une fontaine dans une prairie voisine comme à Irouléguy ?

Notes
995.

La question des landes, souvent communales, fait l'objet d'une polémique persistante. Le point de vue physiocratique, favorable à leur mise en valeur, domine jusqu'à la fin du Second Empire, mais n'a jamais fait l'unanimité. "Les personnes étrangères à notre situation agricole qui ne savent pas que nos sols manquent d'acide phosphorique et de chaux prêchent le défrichement des touyas et leur remplacement par des prairies, des céréales, des racines fourragères comme la betterave etc., etc., mais alors avec quoi fera-t-on le fumier? Puisque nous ne sommes pas un pays de céréales […] la paille fera défaut; il faut chercher la litière ailleurs; c'est ce qui justifie l'existence des touyas". Félix LABROUCHE, Etudes agricoles, ouvrage cité, article du 25 avril 1888.

996.

Michel ETCHEGOIN, Georges FRAGA, Bernard POUSTIS, "Les paysages de la Basse-Vallée de la Nive", Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne, 1973, pp. 409-438. Georges VIERS, "L'utilisation du sol et son évolution (1950-1980) dans la commune d'Espelette", Estudios de Geografia, Homenaje a Alfredo Floristàn, Pamplona, 1981, pp. 439-451.

997.

La qualité du fumier, généralement conservé en tas devant la maison et soumis aux intempéries, fait l'objet de critiques récurrentes.

998.

"Généralement les prairies, comme les champs, sont, dans ce département, séparées par des haies qui empiètent considérablement sur les héritages qu'elles servent à clore. Je me sers d'un mot impropre en qualifiant de haies ces tertres élevés, dits baradeaux, dont la base a quelquefois cinq ou six mètres. Ce sont là des zones considérables de terrains presque perdus pour l'agriculture, car elles n'offrent, comme bénéfice, que quelques lots de bois à brûler". Félix LABROUCHE, propriétaire à Bayonne, Annales de la Société d'agriculture des Basses-Pyrénées, n°1, janvier 1865.