Ni la betterave à sucre, ni le mûrier, ni aucune des innovations parfois extravagantes inspirées à des esprits imaginatifs par le modèle des régions de grande culture1127 n'ont séduit de petits exploitants rétifs aux expérimentations hasardeuses, qui coûtent souvent plus qu'elles ne rapportent. Le mouton de Southdown, introduit par le Conseil général sous le Second Empire, n'a pas eu davantage de succès face aux races locales plus rustiques : "les pasteurs se montrent malheureusement peu enclins à donner leurs brebis à ces béliers. L'esprit de nos campagnes repousse tout ce qui sort des vieilles habitudes"1128. L'expérience échoue en fait lamentablement : les béliers achetés à partir de 1857 périssent les uns après les autres par accident ou par maladie, et passent rarement l'année. La politique de mise en valeur des landes dites improductives, qui fournissent aux exploitations fourrage et litière, se heurte à la résistance des communes et ne survit pas non plus au Second Empire : "il n'existe, dans ce département, que fort peu de terrains sans aucune valeur", admet-on finalement en 1871, "les reconnaissances ont donc été suspendues"1129.
Peu réceptive au catéchisme physiocratique, la petite exploitation suit la voie plus modeste d'une adaptation progressive d'un système de cultures dont la rationalité est finalement reconnue. L'élevage ovin décline au profit de l'engraissement des bœufs, des porcs et des volailles, qui devient l'activité essentielle et la principale source de revenus monétaires. Les céréales, notamment le froment, reculent devant les prés et les plantes fourragères1130. Entre l'établissement du cadastre en 1832 et 1914, quasiment toutes les exploitations augmentent leur superficie en herbe. Les plus spécialisées, comme Chilharenia, leur consacrent jusqu'aux 2/3 de leur superficie. Le maïs tend à disparaître de l'alimentation humaine pour devenir lui aussi fourrage. Dès les années 1860 s'affirme une vocation herbagère commune aux montagnes humides, qui se confirme au siècle suivant1131. Il faut certes attendre les décennies 1960-1980 pour voir les surfaces toujours en herbe s'étendre massivement au détriment des landes, les productions fourragères couvrir la quasi-totalité de la surface agricole, et la spécialisation l'emporter définitivement sur la polyculture1132. Mais le "grand miracle" du renouveau agricole de la fin du XXe siècle se préparait de longue date.
Cette amorce de spécialisation est rendue possible par l'élargissement du marché du bétail, grâce notamment au chemin de fer, mais aussi par l'ouverture du marché foncier. Défrichements, reconversions et remembrements sont étroitement liés aux mouvements de la propriété et de la population. Les terres libérées par la disparition des micro-exploitants sont à l'origine de la plupart des nouveaux prés de Chouhiteguia ou d'Etchegoyenea. Marihaurrenea à Ascain convertit également en prés ses parcelles de communaux1133. L'investissement foncier a certes mobilisé une grande part de l'épargne paysanne. Mais pour la petite exploitation, ce n'est pas un investissement purement sentimental et stérile. Il est aussi le moyen d'une spécialisation généralement herbagère, mais parfois aussi tournée vers la vigne ou les productions du jardin et de la basse-cour : c'est aussi dans ce dernier quart de siècle que se reconstitue autour d'Irouléguy un vignoble de qualité et que se développe l'aire de maraîchage de la Côte basque.
En 1815, un préfet de l'Empire proposait ainsi l'introduction de l'arachide. Mais c'est surtout la Monarchie de Juillet qui voit fleurir les initiatives les plus diverses et sans lendemain. Le conseil général encourage la culture du mûrier et vote une prime de 1 000 francs pour l'éventuel fondateur de la première sucrerie de betteraves du département. La Société d'agriculture de Bayonne vante la culture du colza, qui pourrait remplacer le maïs, et expérimente celle du mûrier. Général SERVIEZ, Statistique de l'an X, ouvrage cité, 1815. Arch. nat. AD-XIXi-1/Basses-Pyrénées : délibérations du Conseil général (sessions de 1838, 1839 et 1840). Société d'agriculture de Bayonne, Compte-rendu par M. le Directeur de la métairie modèle, ouvrage cité, 1840.
Arch. nat. AD-XIXi-1/Basses-Pyrénées : délibérations du Conseil général (session de 1861).
Arch. nat. AD-XIXi-1/Basses-Pyrénées : délibérations du Conseil général (session de 1871).
Voir tableau 6 en annexe : les céréales, superficie et rendements (1852-1892).
Théodore LEFEBVRE, Les modes de vie dans les Pyrénées Atlantiques orientales, ouvrage cité (1933), pp. 384-499. Ministère de l'Agriculture, Statistique agricole de la France. Annexe à l'enquête agricole de 1929, ouvrage cité (1937).
Pierre LABORDE, "L'agriculture du Pays basque en 1970", Revue de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne, n° 131, 1975, pp. 363-370. Georges VIERS, "Mutations et progrès de l'agriculture en Pays basque de France", article cité (1992).
Voir Marihaurrenea (chapitre 5).