2. Tourisme et contrebande : des activités florissantes

L'essor du tourisme balnéaire

La vogue des bains de mer et le premier essor du tourisme apportent par ailleurs des revenus de substitution. A proximité de Saint-Sébastien, villégiature de la cour d'Espagne, Biarritz est élue résidence impériale. La cour s'y transporte chaque été, suivie de toutes les têtes couronnées d'Europe1237. Le petit village de pêcheurs du début du siècle voit bientôt affluer les riches oisifs, qui s'installent parfois à demeure, et devient une station balnéaire aristocratique qui compte plus de 18 000 habitants à la veille de la guerre1238. La Côte basque est à la mode. D'Hendaye à Bayonne, toutes les petites cités du littoral se peuplent en été d'une clientèle aisée et se convertissent au tourisme, qui se diffuse vers les communes rurales de l'intérieur. Ascain reçoit dès 1859 la visite de l'impératrice Eugénie, qui se fait transporter au sommet de la Rhune1239. La place du village ne tarde pas à être encombrée par les voitures des visiteurs venus des stations balnéaires proches, et son bourg pittoresque à devenir un sujet de cartes postales1240. Plus éloignée des centres touristiques, Hélette à son tour "reçoit la visite de nombreux touristes attirés par la beauté de ses paysages", mais qui n'y séjournent pas1241.

Le bâtiment et l'hôtellerie sont les premiers bénéficiaires de cet afflux de population. "Grâce aux constructions de la Villa Impériale de Biarrits […] le travail n'a pas manqué aux ouvriers, et l'agriculture s'est même plusieurs fois plainte de ne pas trouver assez de bras", note le préfet dès 1855. Dans les stations balnéaires et leurs alentours, ouvriers et artisans du bâtiment trouvent durablement à s'employer à la construction d'hôtels et de villas, d'établissements de bains et de casinos1242. Pendant les mois d'été, on y loue aussi sa maison ou un garni aux "estiveurs" venus aux bains de mer1243. Dans les villages, les aubergistes louent quelques chambres, puis deviennent hôteliers, tandis que quelques pionniers inaugurent l'accueil à la ferme1244 : à Ascain, deux débits de boisson se transforment ainsi en hôtels dans le dernier quart du siècle.

Qu'elle séjourne à l'hôtel ou dans ses villas, la clientèle aisée des stations balnéaires réclame aussi des services de toutes sortes, et l'on vient de loin y faire des "saisons". A Ascain, chaque matin d'été voit les lavandières se mettre en route pour Saint-Jean-de-Luz dont les hôtels leur fournissent leur linge à laver : "à quatre heures du matin, l'attelage à deux bœufs partait, l'homme l'aiguillon sur l'épaule et la femme sur la charrette ou trottinant à côté, pour livrer le linge propre et remporter le sale au pas tranquille de l'attelage"1245. Contrebandiers et éleveurs de chevaux guident vers le sommet de la Rhune de riches anglais en villégiature1246, tandis qu'à Saint-Jean-de-Luz d'anciens pêcheurs promènent les touristes le long de la côte sur de petits vapeurs de plaisance1247. Le tourisme surtout offre à la domesticité féminine de nouveaux débouchés : les jeunes filles sont placées comme cuisinières ou femmes de chambre dans des familles bourgeoises qu'elles suivent parfois à Bordeaux ou à Paris, pour se faire une dot et aider leurs parents1248.

Notes
1237.

Michel CHADEFAUD, Aux origines du tourisme dans les pays de l'Adour. Du mythe à l'espace : un essai de géographie historique, Pau, Numéro spécial des Cahiers de l'Université, 1988, 1010 p.

1238.

ARDOUIN-DUMAZET, Voyages en France, ouvrage cité.

1239.

Arch. com. Ascain : délibération municipale du 30 septembre 1859.

1240.

"Vu la proximité des stations balnéaires si fréquentées par la colonie étrangère dont une partie vient tous les jours prendre leur repas du soir à Ascain", le conseil municipal repousse à minuit "la fermeture des cafés, débits de boissons, salles de spectacles et autres établissements publics" pendant la saison touristique. (Arch. com. Ascain : arrêté municipal du 25 juillet 1922).

1241.

Arch. com. Hélette : délibération du 11 juin 1911.

1242.

Arch. nat. AD-XIXi-1/Basses-Pyrénées : rapports du préfet au Conseil général. Sessions de 1855 et 1886. BB-30/Basses-Pyrénées : rapport du procureur général de la Cour d'appel de Pau (1er trimestre 1862 et 2e trimestre 1865).

1243.

Henri LORIN, "L'industrie rurale en Pays basque", article cité, p. 357.

1244.

Voir chapitre 2 : Haranederrea, une trajectoire linéaire.

1245.

Georges PIALLOUX, "En parcourant le village", Ascain, ouvrage cité, pp. 69-70.

1246.

Voir chapitre 2 et annexes : Urritxagacoborda, ascension d'une famille de métayers.

1247.

Henri LORIN, "L'industrie rurale en Pays basque", article cité, p. 357.

1248.

Archives de l'Evêché de Bayonne : questionnaire sur les oeuvres diocésaines, 1909. Paroisses d'Irissarry, Sare et Saint-Esteben.