Iribarnia (Hélette)1348

Tout aussi précaire apparaît le sort d'Iribarnia, qui ne doit sa survie qu'aux multiples expédients imaginés par ses propriétaires pour reconstituer un patrimoine en voie de démantèlement. C'est pourtant un beau domaine d'une vingtaine d'hectares, avec sa maison de maître, sa métairie et son moulin, que Marie Etcheberry a laissé en 1813 à son époux et ses quatre enfants1349. Mais les cadets ont voulu se marier, ont exigé leur part, et en 1825 un premier partage a divisé la propriété en cinq lots dont une partie a été vendue1350.

Seule l'aînée Etiennette est restée auprès de son père à Iribarnia. Elle a dû engager sa part et l'exploitation se réduit à peu de choses : le jardin d'Etiennette, les 22 ares de labour de son père, et quelques parcelles de prés et de pâtures. Mais aux maigres ressources de l'agriculture s'ajoutent celles du petit artisanat à domicile : Etiennette se déclare fileuse, comme beaucoup de veuves et de célibataires1351. Sans descendance, elle choisit pour héritière sa nièce Etiennette Hiriart : en 1844, Etiennette Hiriart et son époux Léon Broussain deviennent propriétaires des maigres biens qui lui restent par contrat de mariage, et entreprennent de reconstituer la propriété en reprenant possession des terres engagées par leur tante1352.

Mais à la mort de Jacques Garra en 1848, l'exploitation est à nouveau amputée de plusieurs hectares par le partage des biens paternels1353. Sa fille Etiennette doit aussitôt céder à ses nombreux créanciers les quelques parcelles de son lot1354. Les époux Broussain, déjà endettés, doivent emprunter 1 500 francs pour acheter la part de Domingo1355. En 1855, ils sont contraints de vendre à réméré 78 ares de labour et de prairie1356. L'exploitation, en majeure partie couverte de taillis et de pâtures, ne compte plus alors que deux hectares de terres cultivables, pour sept bouches à nourrir1357.

C'est d'abord dans l'émigration que le ménage cherche les ressources qui lui font défaut. En 1856, Léon Broussain n'est plus recensé à Iribarnia, où il a laissé son épouse avec sa tante et trois enfants. En janvier 1857, "sur le point de quitter la France et ne pouvant prévoir l'époque de son retour", il donne pouvoir à sa femme d'administrer ses biens et s'embarque pour l'Amérique1358. De La Havane, il parvient à racheter son labour avant l'échéance du réméré1359. Mais à son retour, six ans plus tard, une lourde dette pèse toujours sur la maison. Les époux Broussain doivent emprunter 3 000 francs pour se libérer des griffes du médecin Pierre Larre, devenu leur unique créancier1360, et ne peuvent même pas payer les 134 francs de gages du vieux domestique embauché par Etiennette pendant l'absence de son mari1361.

Léon Broussain se fait alors transporteur et sillonne les routes avec ses attelages pendant une dizaine d'années au moins. En 1863, il effectue un transport de planches en compagnie d'un autre bouvier, lorsqu'il est interpellé une première fois par la maréchaussée à Irissarry, où il s'est arrêté à l'auberge en abandonnant sa voiture sur la route. En 1867, il est à nouveau verbalisé pour défaut de plaques, alors qu'il se dirige vers Hasparren avec deux charrettes attelées chacune d'une paire de bœufs, toujours chargées de lattes. On le trouve encore à plusieurs reprises conduisant sa charrette dépourvue d'éclairage sur la route de Bayonne à Saint-Jean-Pied-de-Port, jusqu'en 18731362.

A cette date, il vient de marier sa fille Marie, unique survivante de ses quatre enfants. C'est au tour de son gendre Jean Recalde de se rendre en Amérique. A peine marié, il quitte son épouse et son fils âgé de trois mois. Mais l'émigration ne réussit pas plus à cette génération qu'à la précédente. Jean Recalde disparaît en Amérique sans donner de nouvelles1363. Marie confie son enfant à ses parents, et quitte elle aussi la maison pour se rendre à Bordeaux, probablement comme domestique1364. C'est à elle que l'exploitation doit finalement son salut. Elle obtient le divorce en 1888, épouse un restaurateur de Bordeaux où elle se déclare "maîtresse de restaurant", s'acquitte des 5 000 francs de dettes de ses parents, et agrandit la propriété de quelques parcelles1365. En 1901, elle a probablement perdu son mari et son unique fils lorsqu'elle revient à Iribarnia, qu'elle exploite avec un jeune maçon dont elle fait bientôt son héritier. Bien que le nouveau propriétaire se déclare désormais "cultivateur", sans doute un nouveau cycle de pluriactivité s'ouvre-t-il alors, associant agriculture et métier du bâtiment1366.

Notes
1348.

Voir arbre généalogique en annexe (7).

1349.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 11 janvier 1815.

1350.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8881 : partage du 28 juillet 1849. Arch. com. Hélette : matrice cadastrale. L'acte de partage de 1825, ainsi que la plupart des actes de cette époque, ont malheureusement disparu avec les archives de Me Noguez, notaire à Mendionde.

1351.

Arch. com. Hélette : liste nominative de recensement (1851).

1352.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 11387 et 8881 : vente de droits du 30 avril et quittance du 29 juillet 1849. L'acte de mariage et la cession de droits de 1844 ont également disparu des archives de Me Larre, notaire à Iholdy.

1353.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8881 : partage du 28 juillet 1849.

1354.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8881 : obligation et bail à ferme du 29 juillet 1849; ventes des 30 mars et 24 mai 1850

1355.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8881 et 11387 : obligation du 24 août 1847; vente et obligation du 30 avril 1849.

1356.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8883 : vente du 14 juillet 1855.

1357.

Arch. com. Hélette : liste nominative de recensement (1851).

1358.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8884 : pouvoir du 12 janvier 1857.

1359.

Arch. com. Hélette : matrice cadastrale.

1360.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8887 : obligation et quittance du 14 février 1866.

1361.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U-12/25 : audience du 23 novembre 1865.

1362.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U-12/24 à 29 : procès verbaux des 21 octobre 1863, 20 février 1867, 14 mai 1868 et 16 novembre 1873.

1363.

Arch. com. Hélette : registres des mariages (1889), notification du jugement de divorce entre Jean Recalde et Marie Broussain.

1364.

Arch. com. Hélette : listes nominatives de recensement (1881 et 1886). Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutations par décès des 25 août et 16 décembre 1887.

1365.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18046 et 18047 : quittances des 8 avril 1889 et 31 décembre 1892. Arch. com. Hélette : matrice cadastrale.

1366.

Arch. com. Hélette : matrice cadastrale; listes nominatives de recensement (1901-1931). Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 1204-W/10 : enquête agricole de 1942, commune de Hélette.