Derrière l'épicerie et la boucherie de la place du village, dans un enchevêtrement d'habitations, de cours, de jardins et de remises, s'est installée depuis 1842 l'une des deux forges de Hélette. Etienne Marot, son gendre puis son petit-fils qui y sont régulièrement recensés comme forgerons jusqu'en 1931 sont aussi, comme tous les ruraux, des exploitants agricoles1401.
En 1817 déjà, Carricaburua est une micro-exploitation pluriactive dont la superficie cultivée dépasse à peine le demi-hectare. Son propriétaire Bertrand Sorhouet, alors jeune instituteur du village, exploite son jardin, deux petites parcelles en pré et en labour à proximité du bourg, un bois et une pâture. Il élève au moins un porc, déclaré à son décès1402, mais ne possède pas d'attelage et doit faire appel à ses voisins pour les charrois1403. Bertrand Sorhouet transmet à son fils, puis à l'aîné de ses petits-fils sa profession d'instituteur, mais c'est sa fille Gratianne qu'il désigne comme héritière lors de son mariage avec Etienne Marot en 18421404. Carricaburua associe dès lors, pour près d'un siècle, activités de la forge et activités agricoles.
Le forgeron Etienne Marot appartient à une vaste parentèle d'artisans de Hélette, où ses oncles et ses cousins exercent au milieu du siècle les professions de tisserand, de duranguier, de cordier, de charpentier1405. Il est le descendant d'une lignée de forgerons, propriétaires d'une dizaine d'hectares et exploitants agricoles1406. Mais la famille Marot a connu de sévères revers de fortune depuis le décès prématuré de son père en 18351407. Sa mère, chargée d'enfants et privée du revenu de la forge, a dû s'endetter, puis vendre le bien familial pour offrir à son unique fils Etienne la dot de 1 000 francs qui lui permet d'épouser Gratianne Sorhouet1408.
Sans doute Etienne a-t-il une revanche à prendre. Pendant quarante ans, parcelle par parcelle, il agrandit l'exploitation. Il achète des pâtures éloignées, un bout de jardin, puis des prés1409. A son décès en 1889, il laisse une propriété de plus de sept hectares, dont près de deux sont cultivés, et dont la valeur a triplé en une génération1410. La paire de vaches qu'il possède vaut presque autant que ses outils de forgerons, et la clause de mésentente qui accompagne le mariage de sa fille en 1873 prévoit, outre le partage des bénéfices de la forge, celui du grenier, de l'écurie, de l'étable, du fenil et de la basse-cour1411.
La forge, qui emploie en permanence deux ou trois ouvriers, est prospère et bien plus lucrative que l'exploitation agricole. Etienne Marot fournit le village en faux et en râteaux métalliques, il est aussi son chaudronnier et son serrurier1412. Il peut doter confortablement ses enfants, épargner et prêter de l'argent : il accumule 13 000 francs placés en créances, et ses placements mobiliers l'emportent sur ses investissements fonciers1413. Pourtant, si la forge est sa principale source de revenus et s'il lui consacre l'essentiel de ses activités, Etienne Marot exploite directement son petit domaine avec l'aide de journaliers ou de petits exploitants, qui peuvent s'acquitter ainsi de leur abonnement chez le forgeron.
Dans la cour de la maison, la forge qu'il a fait construire voisine avec la petite "borde", bâtiment d'exploitation où il entrepose de la chaux et du fumier. La cour est si encombrée que les charrettes doivent s'engager à reculons dans l'étroit passage séparant la maison de la forge pour décharger le soutrage, la chaux et l'eau nécessaire à la forge et à l'étable, ou en emporter le fumier. Les multiples activités de l'exploitation, dans cet espace exigu, suscitent plusieurs litiges avec le voisinage. Etienne Marot conteste à l'un la propriété d'une haie qu'il veut faire tailler par ses ouvriers, à l'autre le droit d'entreposer du bois sur le terrain vague que traversent ses charrettes. Le médecin Pierre Larre, propriétaire d'une maison voisine, réclame en vain la démolition de la forge et proteste de l'inexistence d'un chemin d'exploitation, puisque "les terres qui existent aujourd'hui sont achetées ou nouvellement défrichées"1414.
Entreprise familiale pluriactive, Carricaburua associe aux activités du ménage celles de la parenté proche d'Etienne Marot. Dans un appartement de la place du village sont installées ses trois sœurs célibataires. L'aînée Marie, qui se déclare épicière et quincaillière, y tient un petit commerce où s'écoulent certainement les petites productions de la forge de son frère. Une des filles d'Etienne travaille à la boutique avec sa tante, puis en prend la succession avec son époux chocolatier1415. En 1889, c'est le fils aîné d'Etienne, instituteur d'une commune voisine, qui achète pour y installer sa sœur l'auberge-épicerie à laquelle est adossée la forge de son beau-frère1416. L'ensemble des activités familiales est désormais réuni autour de la cour de Carricaburua.
Nulle nécessité économique ne semble être en mesure d'expliquer la pluriactivité de ces trois générations de forgerons aisés. A la poursuite d'un idéal d'autosuffisance au cœur du mode de vie rural, ils continuent jusqu'à la guerre à agrandir leur modeste exploitation sans dépasser le seuil de l'autosubsistance familiale1417. Propriétaires fonciers, ils peuvent par ailleurs accéder au conseil municipal où Etienne Marot siège pendant trente ans1418. L'entreprise pluriactive familiale ne subvient pas seulement aux besoins alimentaires du ménage, elle confère à chacun sa place au sein de la galaxie familiale et de la société villageoise.
Voir arbre généalogique en annexe (10) : Carricaburua, 1817-1914.
Arch. com. Hélette : état des habitants de 1817; matrice cadastrale. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 10 août 1841.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U-12/20 : transport de justice du 21 août 1855.
La donation qui accompagne le contrat de mariage du 18 octobre 1842, disparu avec les archives de Me Noguez, est signalée dans les déclarations de mutation par décès de Jeanne Acheritogaray et de Gratianne Sorhouet. Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutations par décès des 8 février 1869 et 25 octobre 1889.
Arch. com. Hélette : liste nominative de recensement (1851).
Arch. com. Hélette : état des habitants de 1817, matrice cadastrale.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 18 janvier 1836.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 25 octobre 1889.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 8939, 8882, 8883, 8885, 18044, 18045 et 18047 : ventes des 26 août 1845, 31 janvier 1851, 17 mars et 27 décembre 1852, 1er mars 1853, 11 février 1854, 29 juin 1861, 5 juillet 1879 et 28 octobre 1885; partage du 8 avril 1890.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 269-Q-1 à 46 : mutation par décès du 25 octobre 1889. Arch. com. Hélette : matrice cadastrale.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18042 : contrat de mariage du 16 janvier 1873.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18047 : partage du 8 avril 1890.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18042, 18044, 11591 et 18047 : titre clérical du 1er avril 1875, contrats de mariage des 18 juillet 1877 et 16 mai 1878, partage du 8 avril 1890 et contrat de mariage du 3 janvier 1891.
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 4U-12/20 : audience du 3 janvier et transport de justice du 21 août 1855. Audience du 13 mars et transport de justice du 10 avril 1856.
Arch. com. Hélette : listes nominatives de recensement (1851-1886).
Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 18093 : liquidation du 28 août 1890.
La dernière acquisition foncière de Carricaburua, deux petits labours achetés par Etienne Petrissans, est portée au cadastre en 1912. Arch. com. Hélette : matrice cadastrale.
Arch. com. Hélette : registres des délibérations municipales.