Une aventure collective1444

Les quatre frères Hirigoyen, cadets d'Harguibelea, sont parmi les tout premiers jeunes gens d'Ascain à prendre leur passeport pour Montevideo1445. Ils appartiennent à une vieille famille de la commune, où leurs ancêtres paternels et maternels sont propriétaires fonciers depuis le XVIIe siècle au moins1446. Leur mère Catherine Perusquy, descendante d'un officier marinier, est l'unique héritière des six hectares d'Harguibelea, agrandis d'un enclos peu après son mariage avec Gratien Hirigoyen en 17981447. Leur père, charpentier de marine, exerce sa profession jusqu'en 18241448. Avec plus de cinq hectares de cultures et les revenus de la pluriactivité, l'exploitation connaît donc une aisance certaine.

Mais seul l'aîné des cinq frères suit la trace de son père : ouvrier charpentier dans la marine pendant quelques années, il épouse l'héritière d'un petit domaine de quelques hectares dont il prend la succession1449. A partir de 1826, la famille ne compte plus un seul marin et se tourne vers l'émigration. Le premier, Dominique prend son passeport pour Montevideo. Dès 1829, il se trouve à Buenos Aires en compagnie de quelques jeunes gens de la commune, tous fils de propriétaires fonciers ou de commerçants. Entre ces pionniers et leurs familles s'organise à travers l'Atlantique un réseau de solidarités et de transfert d'argent. Dominique fait parvenir à son père une première somme de 700 francs par l'intermédiaire de Jean Sougarret1450, rentré en octobre 18291451, et appelle ses frères et ses cousins germains à le rejoindre. Les familles encouragent ces départs. Dominique s'est engagé à payer les 800 francs nécessaires au voyage de ses deux frères. Son père et son futur beau-père apportent leur caution auprès du capitaine de navire1452. Sa tante Gracieuse Hirigoyen avance 500 francs à son fils Martin pour "le mettre à même d'entreprendre le voyage de Buenos-Ayres où il compte aller passer quelques temps"1453. Six ans plus tard, elle remet au nom de Martin 500 francs à la veuve du menuisier du village, dont les quatre fils sont aussi à Buenos Aires1454.

Ces premiers émigrants se fixent rarement en Amérique. La plupart n'y font qu'un séjour de quelques années, ou reviennent en fin de vie. Mais les réseaux d'accueil et d'emploi mis en place par cette première vague de migrants ouvrent la voie à un flux continu d'hommes et d'argent, encouragé par quelques réussites éclatantes. Plusieurs décennies durant, l'économie des exploitations se nourrit en partie des ramifications poussées outre-Atlantique par les réseaux de sociabilité villageoise.

Notes
1444.

Voir arbre généalogique en annexe (13) : Harguibelea, 1799-1914.

1445.

Arch. com. Ascain : noms des individus qui sont allés aux colonies étrangères (sd, vers 1845).

1446.

Alfred Lassus, "Les anciennes maisons d'Ascain", Ascain, ouvrage cité, pp. 82-83 et 106-107.

1447.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 9871 : contrat de mariage du 15 frimaire an VII. Archives de l'enregistrement, bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutation par décès du 25 mai 1845.

1448.

Archives de la Marine, bureau de Rochefort, 15-P-3 / 55 : matricules des gens de mer.

1449.

Archives de la Marine, bureau de Rochefort, 15-P-3 / 62 : matricules des gens de mer. Arch. com. Ascain : registre des mariages (1834), matrice cadastrale et listes nominatives de recensement.

1450.

Voir chapitre 2 : Haranederrea, une trajectoire linéaire.

1451.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15585 : quittance du 24 décembre 1829.

1452.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15586 : obligation du 18 janvier 1830.

1453.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15586 : donation du 4 janvier 1830.

1454.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15593 et 15594 : pouvoir du 19 octobre 1836.