La redistribution1471

Mais cette génération n'a eu qu'une faible descendance. Jusqu'à son décès en 1869, Catherine Perusquy semble régner sur une maisonnée de célibataires et une propriété indivise. Ni Dominique ni Marie, trop tard mariée, n'ont eu d'enfants. Seul l'aîné Martin a deux filles. C'est aussi le seul à ne pas avoir émigré. Sa mère, en 1830, l'a désigné comme héritier par testament1472. Mais sans doute a-t-il préféré son indépendance. Il a quitté la maison pour la petite exploitation de son épouse. Considéré comme un "propriétaire gêné"1473, il a marié modestement ses deux filles à un maçon et un meunier dépourvus de propriétés.

C'est à ces deux nièces qu'est destinée l'épargne de la génération précédente. Dès 1884, Marie et son époux s'installent à Harguibelea avec leurs quatre fils qui participent activement aux travaux des champs et gardent les vaches et les brebis1474. Jean Etcheberry et Marie Hirigoyen, devenue seule propriétaire d'Harguibelea et d'Uhaldea après le décès de ses frères, lèguent tous leurs biens à leurs deux nièces1475. Au décès de Marie Hirigoyen en 1896, l'ensemble des terres de la famille est redistribué entre les deux héritières.

Harguibelea revient à Marie. L'exploitation compte alors près de dix hectares, et la propriété une vingtaine d'hectares1476. Mais la génération suivante procède en 1910 à un nouveau partage. La propriété est morcelée de façon à permettre aux quatre frères Goyenaga de s'établir à Ascain comme propriétaires-exploitants1477. Harguibelea, qui ne compte plus à la veille de la guerre que cinq hectares, dont trois hectares de cultures, reste une exploitation modeste qui se consacre à l'élevage bovin1478. Après la guerre, leurs cousins partagent à leur tour l'autre moitié de la propriété. Ils doivent vendre Uhaldea, son plus beau fleuron, mais parviennent eux aussi presque tous à s'établir au village.

Un siècle après les premiers départs, les descendants des migrants des années 1830 sont de très petits propriétaires, qui exploitent au maximum sept hectares1479. Le prestige et le pouvoir n'auront été que ceux d'une génération. Rien n'indique qu'ils aient apporté une contribution particulière à la modernisation de l'économie locale. Leurs stratégies d'ascension sociale, leurs dépenses parfois ostentatoires ont même pu la freiner. Mais les revenus de l'émigration ont contribué à la résistance du tissu social rural et au maintien d'une dizaine de petites exploitations. Peut-être les émigrés ont-ils ainsi atteint leur idéal : vivre au village, vivre de son patrimoine.

Notes
1471.

Voir tableau 15 en annexe : Harguibelea. Généalogie foncière (1832-1920).

1472.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15586 : testament du 7 octobre 1830.

1473.

Arch. com. Ascain : états des propriétaires de la commune qui ont éprouvé des pertes par l'effet de l'inondation du 9 juin 1846, du 16 juillet 1849 et du 9 juillet 1878.

1474.

Arch. com. Ascain : extraits des registres d'appel des écoles publiques. Nombre d'élèves de 6 à 13 ans ayant manqué l'école au moins quatre fois une demi-journée (1883-1898).

1475.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques III-E 15641 : testament olographe du 28 septembre 1890. Archives de l'enregistrement, bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutations par décès des 24 avril 1891 et 29 février 1897.

1476.

Archives de l'enregistrement, bureau de Saint-Jean-de-Luz : mutations par décès des 5 décembre 1906 et 2 novembre 1910.

1477.

Arch. com. Ascain : matrice cadastrale et listes nominatives de recensement.

1478.

Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 1204-W/11 : enquête agricole de 1942. Commune d'Ascain.

1479.

Arch. com. Ascain : matrice cadastrale et listes nominatives de recensement (1911-1946). Arch. dép. Pyrénées Atlantiques 1204-W/11 : enquête agricole de 1942, commune d'Ascain.