Conclusion de la troisième partie. L'exploitation paysanne et le changement économique

Entreprise familiale pluriactive, la petite exploitation rurale se pérennise en adaptant la gamme de ses activités. La révolution des transports, la mise en valeur des nouveaux mondes, la disparition des anciennes industries rurales, le double déclin de la propriété bourgeoise et de la micro-exploitation bouleversent en ce second XIXe siècle les marchés des produits, du travail et de la terre sans ébranler l'économie très souple de petites exploitations habiles à se saisir des opportunités nouvelles.

A la faveur de l'ouverture des marchés agricoles, elles accentuent leur orientation vers l'élevage et réduisent leurs emblavures. A la faveur de l'ouverture du marché foncier, elles convertissent en prés les confins peu fertiles abandonnés par les journaliers. A la faveur de l'essor touristique et urbain de la Côte basque, elles développent aussi bien les activités du bâtiment et des services que les petites productions du jardin et de la basse-cour ou l'élevage laitier. A la faveur de la colonisation des terres vierges de l'Amérique, elles délocalisent outre-Atlantique une partie de leur activité, par l'intermédiaire de réseaux de migrants dont les économies viennent irriguer l'économie villageoise. Les communes poussent au désenclavement, les producteurs de bétail s'associent, les migrants s'entraident. Dans cette dynamique collective, la communauté villageoise s'ouvre à de nouvelles solidarités, l'économie domestique à de nouveaux espaces et de nouvelles activités.

La petite exploitation rurale, ce faisant, ne se transforme que pour mieux se reproduire. Cellule familiale autonome, elle travaille à la survie biologique du groupe domestique et à la transmission des biens et des statuts. Le nombre de bras et de bouches à nourrir, les possibilités d'entraide au sein de la parenté et du voisinage, les enjeux de prestige et de pouvoir président à ses choix aussi sûrement que les conjonctures des marchés. A la poursuite d'un idéal d'autosuffisance et de solidarité familiale et communautaire, elle développe des stratégies de reproduction sans doute peu propices à l'émancipation des individus. Changement économique et conservatisme social se conjuguent ainsi pour pérenniser, au siècle du capitalisme triomphant, une économie paysanne vivace et diversifiée.