3-1°/- L’implicite : vecteur de complicité

La question que l’on peut se poser quand on aborde le sujet de l’implicite, question qui semble s’imposer d’ailleurs, est celle-ci : pourquoi ce besoin de dire de manière cachée ou détournée ce qu’on pense ? Pourquoi la responsabilité de certains de nos dires nous effraie tant ? Y a t-il véritablement une nécessité à l’utilisation de l’implicite ?

A cette dernière question, O. Ducrot 36 répond par l’affirmative et attribue deux origines à cette nécessité de l’emploie de l’implicite :

‘« elle tient d’abord au fait qu’il y a, dans toute collectivité, même dans la plus apparemment libérale, voire libre, un ensemble non négligeable de tabous linguistiques. On n'entendra pas seulement par-là qu’il y a des mots – au sens lexicographique du terme – qui ne doivent pas être prononcés ou qui ne le peuvent que dans certaines circonstances strictement définies. … il y a des thèmes entiers qui sont frappés d’interdits et protégés par une sorte de loi du silence (il y des formes d’activités, des sentiments, des évènements dont on ne parle pas). Bien plus, il y a, pour chaque locuteur dans chaque situation particulière, différents types d’informations qu’il n’a pas le droit de donner, non qu’elles soient elles-mêmes objets d’une prohibition, mais parce que l’acte de les donner constituerait une attitude considérée comme répréhensible ».’

L’enjeu majeur dans l’utilisation de l’implicite est de pouvoir laisser entendre quelque chose sans que la responsabilité de cette profération nous soit obligatoirement imputée. Suivant le raisonnement d’O. Ducrot, nous relevons comme seconde raison qui explique le besoin d’emploi de l’implicite, le fait

‘« que toute affirmation explicitée devient, par cela même, un thème de discussions possibles. Tout ce qui est dit peut être contredit. De sorte qu’on ne saurait annoncer une opinion ou un désir, sans les désigner du même coup aux objections éventuelles des interlocuteurs. Comme il a été souvent remarqué, la formulation d’une idée est la première étape, et décisive vers sa mise en question » 37 .’

Selon lui, on peut ranger les procédés d’implicitation dans deux catégories principales : la première est celle qu’il nomme l’implicite de l’énoncé  ; il s’agit du procédé qui permet de présenter à la place de certains faits, d’autres. C’est dans sa deuxième catégorie que la satire pioche une de ses armes : les sous-entendus

Cette deuxième classe est celle qui renvoie à l’implicite fondée sur l’énonciation. Cette catégorie repose, comme on pourrait s’en douter, sur le fait même de l’énonciation ; on en arrive donc aux sous-entendus 38 . L’implicite, dans ces conditions, ne se cache pas dans l’énoncé, mais se dissimule dans les conditions d’existence de l’énoncé, donc de l’énonciation. La lecture du discours et la compréhension complète du message supposent une activation de tout un système complexe qui se trouve en dehors de l’énoncé lui-même. Lorsque W. Sassine écrivait : « On organise plus d’élections de « Miss Guinée » depuis… On ne sait même pas pourquoi ! » 39 , il sous-entend que cette compétition serait abolie parce que l’unique édition avait été organisée par la Première Dame de la République et que le Chef de l’Etat avait épousé, dans la foulée, la Miss élue. Le sous-entendu qu’il concentre dans son texte n’est repérable qu’en convoquant, évidemment, l’histoire reliée au sujet. Le sous-entendu est loin d’être dans l’énoncé, mais bien dans l’énonciation.

Quand nous avons affaire à un discours polémique, nous ne pouvons ignorer le rôle éminent que jouent les contenus implicites : ils font passer des idées sans avoir besoin de les expliciter ; en même temps, ils introduisent de fausses évidences dans le discours que l’interlocuteur ne peut contester 40 .

L’habileté d’un critique satirique réside, entre autres, dans le fait de parler de choses banales tout en y camouflant des sujets lourds de conséquences politiques, comme le fait régulièrement nos journaux 41 .

Pour résumer, nous distinguerons deux types d’implicites : les présupposés et les sous-entendus. Ces types deux d’implicite s’entendent dans un discours à deux niveaux : les présupposés s’énoncent et se comprennent uniquement dans ce que dit le locuteur, alors que pour les sous-entendus, quant à eux, la compréhension requiert la prise en compte des conditions et des circonstances dans lesquelles l’énoncé a été produit, c’est à dire le contexte d’énonciation. Le contexte de communication est un facteur essentiel dans les modalités de lecture d’un message.

Notes
36.

Ducrot, 1991, pp.5-6

37.

idem

38.

DUCROT cite Présupposés et sous-entendus, langue française, 4 décembre. 1969. P30-43

39.

Le Lynx , in Chronique Assassine, 20 décembre 1993

40.

Oswald DUCROT, Dire et ne pas dire, Hermann, 1972, p.96

41.

idem, p.182