3-2°/ Le Comique : pacte d’adhésion

De même que pour la satire, il y a une grande difficulté à définir le comique 61 . Cette difficulté aboutit à une multitude de définitions. Cela est sans doute lié à la complexité de l’objet.

‘« Le comique est une représentation distanciée de la société d’appartenance. Il s’agit d’une forme culturelle de représentation qui n’est pas destinée à recueillir l’adhésion des spectateurs ou de ses lecteurs à l’objet de la représentation, mais à recueillir leur adhésion à l’énonciation même de la représentation […] Le comique constitue, ainsi, un mode de représentation qui se fonde sur une distanciation critique de la société dans laquelle il s’inscrit : le comique est un mode de représentation de la société, qu’il s’agisse d’un mode littéraire, d’un mode dramatique ou d’un mode pictural de représentation, selon lequel la signification du pacte social fait l’objet d’une critique et d’une appréciation d’autant plus mises à distance qu’elles sont exprimées sur un mode propre à susciter le sourire ou le rire du public, et, de cette manière, à inscrire le public aussi dans une distance forte par rapport à l’objet de la représentation » 62 .’

Cette analyse de B. Lamizet nous interpelle au titre de l’inscription de la distanciation qu’opère le comique vis à vis du public. Il s’agit donc d’une adhésion à l’énonciation. Le propre du comique est d’établir une barrière entre le public et ce qui fait l’objet de sa dénonciation. Le rire a cela de fascinant qu’il met hors de portée l’identification de celui qui rit avec celui à propos de qui l’on rit. Rire de quelqu’un ou de quelque chose, c’est avouer son désaccord, c’est désavouer la cible : on ne peut être à la fois du côté du rieur et de celui contre lequel s’applique la fronde comique. Selon S. Schmidt, aborder l’étude du comique pose un impératif majeur : c’est un sujet à envisager en tenant obligatoirement compte des partenaires de la communication ou des partenaires de l’action, de même que la situation de communication dans l’espace et dans le temps. De même que les énoncés implicites, alors que le comique lui-même peut constituer cet implicite, il faut s’intéresser à l’instance de réception. Dès lors, la question qu’on peut se poser est la suivante :  qui est ce qui rit, il rit de quoi, en fonction de quels présupposés ?

La réponse à ces questions suppose la prise en compte des situations de communication : ce qui fait rire peut varier dans le temps 63 , sans oublier aussi que ce n’est pas la même chose qui peut faire rire tout le monde. Le comique ne surgit pas de façon automatique. L’effet comique est toujours présumé 64 . Ainsi, pour que le comique soit perçu comme tel 65 , il y a des conditions. Ce sont ces conditions nécessaires qui donnent tout son sens à la notion de stratégie.

Le comique est-il constitutif de la satire ? Cette question s’est déjà plusieurs fois posée. L’autre question est la suivante : le comique est-il la condition sine qua non de la satire ou un simple adjuvant ? Pour certains, il faut dissocier satire et comique. Parmi eux, nous retiendrons Schriller qui distinguait la satire «vengeresse » ou pathétique (dominée par la passion) de la satire «moqueuse » ou plaisante (dominée par l’intellect) 66 . Nos journaux n’allieraient-ils pas les deux ?

Pour J. Poumet, (p.192)

‘«si le comique n’est pas constitutif de la satire au même titre que la référence à une norme ou que la désignation d’une cible, il entre en revanche pour une part essentielle dans la stratégie développée par l’auteur satirique pour emporter l’adhésion de son destinataire 67 . A propos d’un cas particulier du comique, qui est le mot d’esprit tendancieux, Freud définit une double stratégie des effets comiques : réaliser de façon détournée des agressions, et gagner à bon compte l’approbation de l’auditoire par un effet de «séduction » : il faut «mettre les rieurs de son côté » 68 .’

Le comique peut être une opération de diversion qui 

‘«fait passer la critique satirique. Simultanément, il établit ou renforce une relation de connivence entre celui qui fait rire et son public. Le rire force le consensus. Le comique, dans la mesure où il déclenche le rire, a une dimension relationnelle. Il renforce la liaison entre l’auteur et son public » 69 .’

Ajoutons que le rire ne fait pas que confirmer la réception d’un message, il signifie aussi le rejet de l’objet déviant 70 . Celui qui rit ne dit pas seulement «jai reçu le message », il dit en même temps «je suis d’accord, c’est pourquoi je ris avec toi ». Terminons en rappelant que le rire a une fonction dialogique (Bakhtine en développe les principaux aspects dans «Lœuvre de F. Rabelais et la culture populaire au Moyen âge et sous la Renaissance ».

Toute cette approche théorique de l’implicite et du comique est envisagée surtout du point de vue du locuteur. Mais, une remarque ne peut échapper à n’importe quel lecteur : le fait que l’implicite ne soit pas envisageable en écartant la relation avec le destinataire. Les stratégies d’implicitation, doublées des lourdes (de conséquences, on entend) doses de comique engagées, développées par leur auteur ne sont pas et ne seront abouties que lorsque le pôle au bout de l’axe de communication effectue son travail interprétatif. Donc, dans la mesure où cette thèse est incontestable (c’est notre point de vue) il nous paraît plus que pertinent d’en étudier une composante fondamentale : les compétences du lecteur. Les contenus implicites et l’humour ne peuvent être compris que si le destinataire partage quelque référence avec le locuteur.

Notes
61.

Poumet, 1990, p.191

62.

Lamizet, 1999, p.129

63.

cité par J. Poumet, p. 186. Lucie Olbrechts-Tyteca, Le comique du discours. Editions de l’Université de Bruxelles, 1974, p. 410.

64.

S. Schmidt, op. cit., p. 69-70. L. Olbrechts-Tyteca, op. cit. , p. 42.

65.

S. Schmidt, op. cit., p. 186

66.

Cf. à ce sujet : J. Brummack, op. cit., p.32. M. Kagan, op. cit., p. 199. I. Hantsch, op. cit., p. 29-31. J. Schönert, Roman und Satire…, op.cit., p.13. E. Rottenmoser, J. Schönert, op. cit., p.15

67.

W. Preisendanz, Über den Witz. Universitätsverlag, Konstanz 1970, p.18 + 20.

68.

S. Freud, Der Witz, op. cit., p.83.

69.

D. Grünewald, op. cit., p. 700. J. Schönert, Roman und Satire…, op. cit., p.30.

70.

J. Poumet, 1990, p.192