CHAPITRE 4 : Les compétences mises en œuvre dans la communication

Nous venons de voir que l’implicite et la distanciation comique font partie des stratégies développées par le locuteur satiriste, tout en se moquant de sa cible, afin de pouvoir faire passer, de manière voilée, une opinion à son destinataire (appelé aussi narrataire = terme s’appliquant au destinataire de la parole narrative au niveau de la communication intratextuelle, où un personnage s’adresse à un interlocuteur) ou à un lecteur, instance virtuelle inscrite dans un texte et interpellée par l’intermédiaire d’un narrateur (niveau de la communication littéraire), selon P.V.D. Heveul 71 .

Dans leur rapport entre eux, locuteur et auditeur entrent en complicité. L’implicite utilisée par le premier doit avoir l’accord du second. Sinon, le lecteur peut nier les présupposés du locuteur considéré ainsi comme un adversaire. Cela aboutit à un arrêt du dialogue. En revanche, s’il y a accord entre les deux acteurs de la communication, le non-dit, l’implicite est alors transformé en dit par l’auditeur 72 .

La relation scripteur / lecteur pose la question de la représentation de l’un et de l’autre dans le texte. Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux indices qui inscrivent le destinataire sinon à la surface, du moins à l’intérieur du texte.

P.V.D. Heuvel écrit :

‘« comme l’auteur, le lecteur n’est pas [forcément]de manière explicite dans le texte au moyen d’un vous, mais se trouve [souvent]inclus dans le nous et les on qui le rapprochent du locuteur. D’autres formes le désignent encore toujours de manière indirecte. Les nombreuses interrogations s’adressent à lui. Le jeu des présupposés et des implicitations, l’emploi du langage parlé et familier, le cadre des références communes et l’agencement des stéréotypes font également apparaître ce lecteur en fonction duquel l’écriture s’organise » 73 .’

Il est ainsi clair que toute l’écriture va s’appuyer sur un savoir commun partagé ou censé l’être par les instances productrice et réceptrice : truismes et tautologies, suppositions dans les interrogations et images stéréotypes, préjugés sociaux et reproches de la moralité établie ou encore les emplois du langage parlé, sont autant de «loci communes » qui tendent à rapprocher le lecteur au texte, autant de pistes qu’il suivra pour l’interprétation des messages.

Il est néanmoins important de préciser que le lecteur n’est pas visé en tant qu’individu, mais en sa qualité d’être social. Ainsi, le locuteur mise -t-il sur un certain nombre de savoirs. Ce sont ces savoirs qui constituent les compétences requises pour l’interprétation d’un texte, dont C. Orecchioni 74 développe les principaux axes. Selon elle,

‘«interpréter un énoncé, c’est tout simplement, qu’il s’agisse de son contenu explicite ou implicite, appliquer ses diverses «compétences » aux divers signifiants inscrits dans la séquence de manière à en extraire des signifiés ».’

Sous cet angle, il peut se dégager une impression de simplicité, mais derrière cette affirmation, il y a lieu d’envisager une opération très complexe qui fait intervenir des compétences très différentes que C. Orecchioni baptise :

‘«  compétence linguistique, compétence encyclopédique compétence logique et compétence rhétorico-pragmatique » 75  .’
Notes
71.

p. 150 ; il renvoie à G. Genette, 1972 ; p265-267 ; G.Prince, 1973, à Fijost 1977 et à Ph DUBOIS 1977

72.

idem, p.212

73.

idem, p.213

74.

1986, p.160

75.

C. Orecchioni reconnaît que cette distinction recouvre en particulier celles proposées par : Searle (1975, pp.60-61) et Charolles(1980 ), pour les différents facteurs entrant en jeu dans les opérations de décodage (de l’implicite en particulier) Hymes fut le premier, en 1962, à utiliser ce terme de compétences