1-2°/- Les médias et la presse

‘« Les médias en Afrique noire sont le résultat d’un transfert de technologie dont les premiers bénéficiaires avaient été, pour la presse et plus tard pour la radio, des Européens installés en Afrique » 96 .’

Trois facteurs essentiels permettent de définir l’appartenance d’un média à une aire géographique donnée : les promoteurs, le public et le contenu. Or, les premiers journaux qui sont nés en Afrique excluent ces données. Ils étaient d’abord Anglais, ou Français, avant d’être africains. L’histoire des journaux en Afrique connaît trois mouvements qui correspondent chacune à une phase cruciale de l’histoire africaine. La période précédent l’expansion coloniale, la période de la colonisation et enfin celle des indépendances. A celles-là, on pourrait même être tenté d’ajouter ceux qui sont nés à la suite du sommet de La Baule, comme les journaux qui font l’objet de notre étude. Nous verrons pourquoi, puisque ce sommet modifiera sensiblement la constitution et la figure de l’espace public en Afrique.

Dans la première époque, l’histoire africaine favorise trois types de journaux : une presse pour les européens, la presse des missionnaires et la presse s’adressant aux africains.

Le développement de la presse des européens se fait d’abord dans les régions où s’installent les Anglais et les Hollandais, c’est à dire en Afrique du Sud. En janvier 1824, après un refus signifié pour une autorisation adressée au gouverneur britannique, Thomas Pringle et Georges Greig publient quand même The South African Commercial Advertiser . Ils critiquent les conditions d’établissement des Anglais à l’Est du Cap. Cette audace va valoir la suppression du journal. Mais, deux années plus tard, en 1825, Greig fait paraître l’ Advertiser qui sera de nouveau suspendu par le gouverneur Lord Charles Somerset à qui il s’était heurté pour une affaire de corruption. En 1928, l’ Advertiser est republié suite à une loi sur la Presse du Cap introduisant le principe de la liberté de presse.

Durant cette période, d’autres journaux, publiés en hollandais par le Révérand Faure étaient nés ou vont naître : De Zuid Afrikaansche créé en 1830. Même si le Cap reste le principal centre de la presse, dans d’autres villes apparurent d’autres publications. Le premier journal en afrikaans sera Di Patriot , créé en 1875.

En Afrique occidentale, le premier journal est enregistré en 1822, en Gold Coast, dans le Ghana actuel. Il s’appelle The Royal Gold Coast Gazette and Commercial Intelligencer . D’abord manuscrit, il se formalisera par la suite et obtiendra très vite de la part des autorités le statut d’organe semi-officiel. Dans la même région, naissent The Gold Coast Times (1874) et The African Interpreter and Avocate en sierra Léone, en 1867.

Si la presse connaît un développement relativement rapide dans les régions de colonisation anglaise, dans la partie française en revanche, elle évolue plutôt lentement. Ce n’est qu’en 1856 que vont naître le Bulletin administratif du Sénégalais et le Moniteur du Sénégal (journal officiel de la colonie) en faveur de l’installation d’une imprimerie. En réalité, la naissance et le progrès de la presse dans les colonies françaises sont étroitement liés à la conjoncture politique en France.

Du côté des malgaches, l’influence viendra du Docteur Davidson qui, appuyé des missions protestantes, va publier en 1875 en langue malgache le mensuel Nygazety Malagazy . Abordant les délicates questions de l’esclavage et critiquant les abus de certains dignitaires de la cour, ce journal connaîtra à peine deux années d’existence. Le censeur déploie un durcissement quand une loi, en 1881, prescrit l’interdiction formelle de toute critique du gouvernement dans la presse en langue malgache. Ce qui consacrait du même coup une liberté beaucoup plus grande de la presse en langue étrangère, ouvrant ainsi l’affrontement entre anglais et français. Madagascar Times , Madagascar News , La Cloche , L’Opinion Publique sont quelques uns de ces 23 titres que le Madagascar connaît avant la colonisation.

La presse des missionnaires, quant à elle, a d’abord été l’œuvre des missionnaires anglais. Ils furent parmi les premiers à proposer la lecture de périodiques aux africains. Et c’est aussi à partir de ces mêmes missionnaires anglais que vient l’idée de création de journaux en langues africaines dont le premier est lancé en Afrique du Sud, en juillet 1837 : le trimestriel Umshumayeli Wendaba . Il est en xhosa et vivra le temps de cinq numéros, pour s’éteindre en avril 1841. Ce premier exemple des missionnaires méthodistes de Grahamstown sera suivi d’effet, quelques années plus tard, entre 1844 et 1845, par la London Missionary Society avec la publication en Xhosa de Ikwesi , puis par l’expérience du mensuel Indaba (Les Nouvelles) en 1862, ensuite du Kafir express dont une version sera en langue africaine, de Isigidimi sama Xosa en 1870, etc.

Au Nigéria actuel, le missionnaire anglican Henry Townsend publie en 1859, dans une optique anti-esclavagiste Iwe Irohin , en yoruba. En Sierra léone, la Wesleyan Missionary Society, lance, en 1843, la Sierra Leone Watchman . Celui-ci s’interrompt en 1846 suite aux plaintes du gouverneur de la colonie auprès des autorités londoniennes. Mais la même mission, associée à la Church Missionary Society, va lancer avec Mores Henry Devies, en 1857, The African and Sierra Leone Weekly Advertiser . Le Libéria connaît lui aussi l’aide des missionnaires pour lancer des journaux, à l’image du Liberia Herald ou l’ Africa’s Luminary . Il en est de même au Ghana avec la fondation, en 1891, sous l’impulsion des missionnaires suédois, de Minsamu Miaayenge , ou encore lorsque les Wesleyens créent , un peu avant 1860, le Christian Messenger et Examiner . Le Madagascar ne sera pas, encore une fois, absent de cette effervescence : Teny Soa en 1866, Mpanolo-Tsaina en 1877, Ny Sakaizan ny Ankizy Madinika (L’ami des petits enfants) en 1878, témoignent tous de cette participation au développement de la presse des missionnaires en Afrique. Au Togo, les missions chrétiennes allemandes sont à la source des premiers journaux ; de même qu’au Cameroun, au Tanganyika avant l’éclatement du premier conflit mondial.

Si l’Afrique connaît une telle croissance de la presse écrite, il reste tout de même difficile d’en mesurer l’influence. Mais c’est elle qui sert de soubassement, de fondation aux premiers journaux des Africains. Cette nouvelle presse naît et se développe d’abord en Afrique de l’ouest anglaise : Charles L. Force, en 1826, lance The Liberia Herald , mensuel de quatre pages. A la mort de son fondateur, c’est à dire six mois après le premier numéro, le journal est repris en 1830 par un autre noir américain John B. Russwurm, ancien rédacteur du premier hebdomadaire noir aux Etats Unis, Freedom’s Journal . Avec des rédacteurs venant tous d’Amérique, Russwurm continue le mensuel léonais jusqu’en 1862, dénonçant avec zèle l’esclavage. En 1854, sort le premier journal dirigé par un africain nommé Edward James Royce : le Liberia Sentinel . Il est vrai que ces journaux nés au Libéria, y vivaient, mais ils ne se sentaient pas moins responsables de l’ensemble du continent.

Aux frontières de ce dernier pays, William Drape crée, en 1855, à Freetown, New Era , un hebdomadaire dont l’hostilité avec le gouverneur ne tarda pas à être clairement déclarée. Après Drape et Davies, la sierra Léone sera à l’avant garde de la presse africaine des années soixante. The Sierra Leone Weekly Times , The Sierra Leone Observer and Commercial Advocate , The West African Liberation seront les précurseurs qui ouvrent et balisent le chemin des médias écrits dans cette région pour ce début de la deuxième moitié du siècle. Au Ghana, Charles Bannermann sera le premier africain à éditer un journal dans une langue africaine, en 1858 : Accra Herald, qui deviendra par la suite The West African Herald . A Lagos, l’aventure sera tentée, en juin 1863, par Robert Campbell qui fonde The Anglo-African . Campbell deviendra ensuite le gérant du Lagos Observer créé en février 1882 par J. Bagan Benjamin.

C’est le lieu de signaler que cette première presse en Afrique est une presse d’instruction, de distraction, mais aussi d’acculturation. Avec le colon sur la terre de l’africain « sauvage », la mission de civilisation ne peut ignorer le façonnage de la pensée. L’esprit du Noir doit refléter la « pureté blanche ». L’apprentissage de l’écriture (reniée à l’africain, nous verrons cela plus amplement dans notre dernière partie) et de la lecture va dans le sens de cette assimilation lorsqu’il ne contribue pas tout simplement à fabriquer le fonctionnaire subalterne de l’administration coloniale. Le colonisateur impose sa culture, bafouant les traditions séculaires du peuple noir qui perd tout repère et se soumet à une autorité dont il ne peut s’extirper, quand on sait qu’en l’année 1885 a lieu la Conférence de Berlin, au cours de laquelle les puissances occidentales se partagent le « gâteau » africain.

Ce moment correspond en Europe à un intense développement de la presse. En France, par exemple, la loi sur la liberté d’expression est déjà promulguée, le 1er juillet 1881. En Afrique, la presse sera le fidèle reflet des différentes politiques coloniales des différentes puissances. Dans les zones françaises, belges et allemandes, avant 1914, il existe un soutien de la métropole, alors que dans la zone anglaise, il n’en est rien, notamment avec le Colonial Office qui traîne de la patte.

Les véritables mutations dans la presse en Afrique coloniale vont s’opérer à la suite des deux guerres mondiales. En effet, le conflit de 1914-1918 et celui de 1939-1945 favorisent l’engagement des troupes africaines (notamment à travers les fameux Tirailleurs Sénégalais, pour l’AOF) aux côtés des Anglais et des Français. Ces derniers sortiront fortement endommagés de ces guerres, même si la victoire finale leur sera acquise.

De retour dans leurs pays, ces fils combattants du continent noir introduisent de nouvelles idées, de nouvelles pratiques et de nouvelles aspirations dans le quotidien des autochtones. Ces soldats ont découvert l’expérience d’une presse plus libre en Europe et ils vont réclamer le même traitement aux médias de leurs pays. C’est dans cette atmosphère appuyée des premiers signes de revendication de la négritude et de l’autonomie que va naître une nouvelle presse, défendant les valeurs africaines et ouvrant les prémisses de la décolonisation.

C’est dans ces journaux que vont se forger les leaders charismatiques de l’Afrique indépendante, les futurs dirigeants des « soleils des indépendances » 97  : en Afrique du Sud, l’ANC dispose déjà de plusieurs journaux ; Nwandi Azikiwé, futur premier président du Nigéria indépendant, a fondé, depuis 1937, West African Pilot  ; Kwamé Nkrumah crée Evening News au Ghana ; Julius Nyéréré, en Tanzanie, possède Sauti Ya Tanu  ; au Sénégal Léopold Sédar Senghor dispose de La Condition Humaine .

En fait, après la seconde guerre mondiale, la presse devient l’instrument à travers lequel se joue la confrontation entre le camp qui prône l’assimilation des colonisés et celui qui se bat pour l’autonomie. Administrateurs coloniaux, colons ou africains se servent d’elle pour délivrer leurs messages aux populations urbaines alphabétisés ou aux dirigeants métropolitains.

Cette logique de confrontation argumentative verra le duel remporté par les défenseurs de l’autonomie. Alors, « les indépendances s’abattirent sur l’Afrique comme une nuée de sauterelles » 98 . L’importance de la place qu’avait acquise la presse va s’amoindrir dans les années qui vont suivre, favorisée, non seulement, par l’apparition des transistors, par l’arrivée des militaires au pouvoir, mais aussi et surtout au nom d’une certaine unité nationale, discours indéfiniment ressassé par les nouveaux dirigeants. C’est donc la fin du pluralisme de la presse et le début d’un contrôle de plus en plus restrictif de l’information.

La dénonciation du colonisateur d’antan responsable de tous les malheurs amène les nouveaux maîtres de l’Afrique vers le parti unique. Un seul pays, un seul peuple, alors une seule information : celle de l’Etat. Le centralisme démocratique, « plus centraliste que démocratique », note à juste titre A-J. Tudesq, hérité du parti communiste soviétique, favorise le contrôle strict de l’information pour en arriver à la propagande au nom de l’intégration nationale. Partout, la censure exerce sa dictature du silence, dirigeant inévitablement l’Afrique vers les sanglantes dictatures dont la littérature des indépendances fait état d’une manière saisissante. L’autocensure et l’exil restent les seuls et fragiles alternatives des patriotes qui ne veulent pas croupir en prison jusqu’à la fin de leur vie, comme le rappellent ces écrivains des indépendances. Cette situation engendre le culte de la personnalité du chef, justifiant à partir de là les ignobles exactions qui seront perpétrées par le parti unique. Cet univers tyrannique est ironiquement décrite par ces mots de Kiridi Bangoura 99  :

‘- « Le parti-nation veut l’unité du continent. Tous dans le même creuset, un peuple, un guide, une histoire, un futur. Vous ne le comprenez pas ?’ ‘- Si ! Justement ! C’est ce que nous refusons ! Un creuset pour tous les peuples du continent, c’est chimérique et liberticide. La diversité et l’individualité ne font peur qu’aux dictateurs... Votre parti-nation veut unir dans la domination et la servitude... ’ ‘- Ce sont des arguments de journaux étrangers, interdits sur le continent ».’

A la lumière de ces répliques, échanges entre deux personnages fictifs du roman du jeune écrivain guinéen, on peut s’apercevoir, véritablement au début des années 90, que l’autarcie voulue par les autorités africaines fut illusoire et ce monde allait s’acheminer inévitablement vers le déclin.

L’échec de ces régimes issus des indépendances, incapables de résoudre les problèmes liés au sous-développement de l’Afrique oblige les dirigeants du continent à s’ouvrir au multipartisme. L’appel de la démocratie accouche d’une nouvelle soif d’information et la naissance d’une nouvelle presse privée devient le gage de l’ouverture démocratique des pays africains. Un nouveau genre de média voit le jour dans cette nouvelle Afrique aux ambitions démocratiques. Un média à la rencontre du griot traditionnel africain et de la presse « technologique » occidentale, alliant l’oralité à l’écriture pour faire surgir une information où l’humour et la truculence sont les maîtres mots : c’est l’émergence de la presse satirique.

Notes
96.

Tudesq, 1991, p.3

97.

titre de l’ouvrage classique d’Ahmadou Kourouma qui va lancer, à partir d’une écriture travaillée, empreinte de l’oralité africaine, un nouveau thème dans la littérature africaine qu’on appellera « littérature du désenchantement ». Cette thématique nouvelle rend compte de la désillusion qui frappe les africains au lendemain des indépendances ; ils pensaient que le départ des colons signifiait la fin de la misère et le début de la prospérité. La voie de la critique des régimes dictatoriaux des années soixante que balise Kourouma est suivie par une vague d’écrivains parmi lesquels on peut citer : Alioun Fantouré, Tierno Monenembo, etc.

98.

A. Kourouma, Les Soleils des Indépendances, Montréal, 1976

99.

La Source d’ébène, L’Harmattan, 1992 ; il fait partie des jeunes écrivains qui rentrent au pays au lendemain de la mort de Sékou Touré. Aujourd’hui, il est le Ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation.