2-2-2/- Le Burkina Faso et Le Journal du Jeudi

De la Haute Volta au « Pays des Hommes Intègres »

L’histoire politique de ce pays est d’un chaotique impressionnant. De 1960, année de son accession à l’indépendance, jusqu’à nos jours, le Burkina Faso a connu plusieurs changements à sa tête dont la durée de vie peut parfois faire pâlir de stupéfaction. C’est un parcours tellement peu ordinaire que l’histoire mérite d’être située.

La Haute Volta accède à la souveraineté nationale, comme beaucoup d’autres possessions françaises, à la suite de l’arrivée au pouvoir de de Gaulle et de la Constitution de 1958. C’est le 05 août 1960 que cette indépendance est proclamée. La période post-coloniale est une succession d’une infinie liste de Présidents de la République et d’options politiques. Cette « épopée », s’il en est, commence avec la 1ère République de 1960 avec à sa tête Maurice Yaméogo. L’organisation administrative fait le choix d’ôter aux chefs traditionnels de nombreux privilèges dont ils jouissaient pendant la colonisation. Faveur ou contrainte de l’époque, la Haute Volta n’échappe pas aux vents du fameux Rassemblement Démocratique Africain (RDA) et son corollaire, le parti unique, qui instaure un pouvoir large et illimité du chef d’Etat. Opposants emprisonnés, syndicalisme et droit de grève limités, la liberté est au banc des victimes du bâillonnement politique. C’est dans ce climat que le Président va être élu à 99, 98% des suffrages exprimés. Rappelons qu’il est candidat unique à ce scrutin.

Le pays va, petit à petit, s’engouffrer dans le quotidien amer des lendemains des indépendances. La France a réduit ses subventions et la gabegie ronge les caisses nationales. C’est ainsi que le Président préconise comme solution la réduction de la masse salariale de 20%. Cette mesure aura pour conséquence le déclenchement d’une grève le 1er janvier 1966. Elle débouche sur une révolte, une marche populaire qui contraint le président à démissionner. Les manifestants exigent alors que le pouvoir soit repris par « le militaire le plus ancien dans le grade le plus élevé ». Ce sera le Commandant Sangoulé Lamizana.

Les années Lamizana, sans être homogènes sur les plans constitutionnel et politique, durent seize ans. Plusieurs types de régimes se succèdent sous sa présidence : entre 1966 et 1970, c’est un Gouvernement Militaire Provisoire qui est aux commandes ; de 1970 à 1974, la IIème République ; les deux années suivantes sont occupées par un Gouvernement de Renouveau National ; celui-ci laisse sa place de 1976 à 1978 au Gouvernement de « Transition Nationale » et au Gouvernement d’« Union Nationale » ; enfin, l’année 1978 sonne l’ère de la 3ème République.

Pendant toute cette période où le destin de la Haute Volta est plus que jamais secoué de tous côtés, le désormais Général Aboubacar Sangoulé Lamizana s’accroche au pouvoir. A son arrivée à la tête du pays, il avait déjà suspendu la constitution, dissous l’Assemblée Nationale et les Conseils Municipaux, interdit les partis politiques. Il décide l’assainissement des finances publiques en utilisant des moyens plutôt drastiques, mais acceptées par les fonctionnaires. Tout, dans les dépenses administratives, est réduit au strict minimum. Par ces moyens, le déficit budgétaire du pays est résorbé. Ce climat est favorable à la IIème République qui permet, en décembre 1970, la tenue d’élections, où trois partis politiques s’affrontent : le RDA (Rassemblement Démocratique Africain), le PRA (Parti du Regroupement Africain) et le MLN (Mouvement de Libération Nationale). C’est le candidat du RDA, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire ou en Guinée, qui sortira victorieux de ces affrontements électoraux. Mais les querelles entre les deux candidats de ce parti, à savoir Gérard Kango Ouédraogo et Joseph Ouédraogo, instaurent une crise qui trouvera son dénouement par la reprise du pouvoir par l’armée en février 1974.

C’est à cette date que le Gouvernement de Renouveau National crée le Conseil Consultatif pour le Renouveau (CCNR), en même temps qu’il institue le Mouvement National pour le Renouveau (MNR). Les syndicats s’opposent à cette institution et réclament un retour à une vie constitutionnelle normale. Alors, le Président Lamizana dissout le gouvernement et le remplace par un cabinet de transition, puis par un gouvernement d’union nationale. Ce gouvernement aura une vie très brève, c’est à dire une année à peine. La constitution qu’il élabore est soumis à un référendum. Celle-ci propose la limitation des partis politiques à trois, la formation d’un gouvernement d’union nationale, installée en 1977, dont la mission est la mise en place des nouvelles institutions.

C’est en mai 1978, après avoir été mis en ballottage, que le Président Lamizana devient le président démocratiquement élu de la Haute Volta. Son régime, issu d’une majorité contestée, va devoir faire face à des luttes syndicales. Celles-ci, notamment la grève du Syndicat National des Enseignants Africains de la Haute Volta (SNEAHV), précipitent un coup d’Etat qui porte le Comité Militaire pour le Redressement National à la tête du pays. L’armée suscite l’enthousiasme. Le Colonel Saye Zerbo, ancien ministre des affaires étrangères, devient le nouvel homme fort du pays. Son action se tourne résolument vers les campagnes et la moralisation de la vie publique. Mais sa popularité est vite entamée quand il lance des restrictions au droit de grève et oeuvre pour une politique de limitation de l’émigration. Le conflit couvant au sein de l’armée devient ouvert par la démission fracassante d’un certain Capitaine Thomas Sankara, secrétaire d’Etat à l’information, et trouve son dénouement dans le coup d’Etat des jeunes officiers de novembre 1983. Le Conseil du Salut du Peuple qui en émerge marque le début de la phase transitoire vers de nouveaux bouleversements politiques.

Cette période est très agitée à cause des différends entre deux courants politiques, fondamentalement : un camp pour le retour à une vie constitutionnelle normale, représenté par le commandant Jean Baptiste Ouédraogo, Président ; un autre camp pour le basculement du pays dans la voie progressiste dont le chef de file est justement le Capitaine Thomas Sankara, Premier ministre. Le premier groupe est soutenu par une partie de la hiérarchie militaire tandis que le second bénéficie de l’appui des jeunes officiers et des organisations marxisantes.

La crise connaît son point culminant lorsque Thomas Sankara et ses compagnons sont arrêtés. Les rues de la capitale sont envahies par les jeunes qui réclament leur libération. Cette liberté intervient trop tard tant l’Etat est fragilisé et l’armée divisée. Alors le 04 août 1983, les militaires du centre d’entraînement commando de Pô, conduits par le Capitaine Blaise Compaoré, entrent dans Ouagadougou. C’est le jour de la proclamation du Conseil National de la Révolution et la victoire de l’option progressiste. C’est aussi le jour de la mort de la Haute Volta et la renaissance, la naissance du Burkina Faso, ou «  Pays des Hommes Intègres  ».

Ce nouveau nom du pays est annonciateur des transformations futures. Les Burkinabés, anciennement Voltaïques, doivent consentir de nombreux sacrifices au nombre desquels on compte la réduction des salaires, la restriction, encore une fois, des libertés syndicales, les travaux d’intérêt collectif, etc. Cette politique permet l’accroissement du taux de scolarisation, la construction de logements sociaux, des retenues d’eau et des forages sont construits, la vaccination s’intensifie, tout cela grâce au plan de développement populaire. Sur le plan international, le Burkina Faso est connu, grâce, notamment, au charisme de son chef d’Etat Thomas Sankara. Mais le climat intérieur s’émousse, et la chute est à la hauteur d’une véritable tragédie : le Président est abattu lors d’une fusillade, le 15 octobre 1987.

Le flambeau est repris par le Capitaine Blaise Compaoré, ancien Premier ministre et ami du chef dont l’assassinat demeure aujourd’hui encore non élucidé, source de controverses, sujet tabou dans la mesure où des langues chuchotent une possible implication du Capitaine-ami dans cet horrible drame. En tous les cas, c’est à Blaise Compaoré, avec le Front Populaire, que revient le mérite de l’engagement du Burkina Faso dans la voie de la démocratie et du multipartisme, concrètement en 1991. Création de partis politiques, nouvelle constitution, cette nouvelle ère consacre, comme dans beaucoup de pays africains, en ce début des années 90, la liberté d’opinion et d’expression. Une atmosphère propice pour l’abreuvement aux sources de l’actualité d’un animal sahélien, qui se donne la noble mission d’ouvrir les yeux sur sa société et de dénoncer, sous couvert humoristique (il faut rappeler que le journal n’est pas satirique au départ), les écarts de la vie publique : un hebdomadaire qui choisit un dromadaire comme mascotte et s’appellera le Journal du Jeudi .